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| Articles 2008

2008 - La crise des subprimes et ses conséquences



La crise des subprimes et ses conséquences :
les nécessaires réformes du système bancaire international


Olivier Pastré

Professeur à l’Université

de Paris VIII




Souvent comparée à la crise de 1929, la crise des crédits subprimes est née aux États-Unis en 2007 de la difficulté rencontrée par les ménages à faible revenu de rembourser leurs crédits logement. Une crise de confiance générale dans le système financier a depuis conduit à la chute des marchés financiers et à une crise de liquidité bancaire.

Alors que la question se pose désormais d’évaluer l’impact que cette crise va avoir sur la croissance de l’économie mondiale, elle entraîne d’ores et déjà un profond bouleversement du système et du paysage bancaire.

 

 


 

            Quel est le rôle d’une banque ? En principe, elle collecte des dépôts à court terme et elle consent des prêts à long terme. C’est ce que l’on appelle la « transformation », fonction matricielle du métier de banque depuis au moins le XIXe siècle. Cette activité a toutefois beaucoup changé depuis le début des années 1980, et la finance mondiale en a été profondément affectée. L’actuelle crise, dite des « suprimes », qui secoue le système bancaire est le résultat d’un certain nombre d’évolutions du métier de banquier.

 

1.      La genèse de la crise

 

            Dans un premier temps, dans les années 1980, pour relever le défi de la dérégulation et du développement des marchés financiers, les banques se sont mises à diversifier leurs activités, dans la banque d’affaires, la gestion d’actifs, la bancassurance, la monétique et un peu dans l’investissement au capital des sociétés non cotées (private equity). Elles ont même créé des métiers nouveaux, comme la logistique de paiement ou la gestion actif-passif de leur propre bilan. Jusque-là, rien de bien grave puisque la diversification de leurs sources de revenus équivalait à celle de leurs risques.

 

            Les choses se sont compliquées dans un deuxième temps, au milieu des années 1990. La diversification des risques n’a pas empêché quelques crises graves – comme celle des « savings and loans » aux États-Unis, celle des banques japonaises ou encore celle du Crédit Lyonnais en France – et a donc conduit les autorités de régulation à encourager les banques à « essaimer » leurs risques. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les banques ont suivi le conseil à la lettre, faisant preuve d’un zèle jusqu’alors inconnu. Les seules banques françaises n’ont-elles pas dépensé près de 13 milliards d’euros en logiciels et services informatiques en 2007, dont une bonne partie au moins a été consacrée à la mise au point de programmes de gestion des risques et des opérations de marché ?

 

Les banques ont ainsi découvert un nouveau champ de développement au nom bizarre : l’« origination-structuration-distribution ». Puisqu’une banque peut désormais sortir les crédits de son bilan pour en faire de nouveaux, elle cherche des crédits de profils comparables (origination), les « package » (structuration) et les vend (distribution) à des épargnants qui lui font confiance sur le seul métier qui est en principe le sien, à savoir l’analyse du risque. Au passage, elle empoche de confortables commissions qui rémunèrent sa capacité à monter des opérations apparemment gagnant-gagnant (win-win).

 

            Ce faisant s’opère un imperceptible « glissement progressif du plaisir ». La banque transforme son statut de preneur et diviseur de risques en simple courtier– ou broker – de risques. L’essentiel devient, dans le meilleur des cas, non pas le risque qu’elle prend, mais l’actif mis en garantie du crédit. Et encore est-ce là dans le meilleur des cas car, le plus souvent, ce qui importe avant tout c’est de couper le cordon ombilical avec le risque pris.

 

            Ce nouveau jeu est d’autant plus séduisant qu’il est rémunérateur. À peine vient-on de « découvrir » – car tout le monde le savait, en fait – que la banque de financement et d’investissement de la Société générale générait, à elle seule, près de la moitié des bénéfices de la banque, que l’on « redécouvre » que la plupart des grandes banques de la planète reposaient, depuis dix ans, sur un modèle à peu près similaire. Ces activités de courtage à risque dégageaient des rentabilités annuelles de plus de 40 à 50 %, ce qui reléguait les banques de détail, cantonnées à des retours sur investissement d’à peine 15 %, au rang de mercanti sans panache.

 

            La seule structuration des titres représentatifs des portefeuilles de créances bancaires (CDO, Collateralised Debt Obligations) générait alors des commissions qui excédaient le milliard de dollars annuel pour les leaders du secteur, Citigroup et Merrill Lynch. Au total, 84 milliards ***d’euros ?*** de commissions furent ainsi versés aux banques d’affaires en 2007. L’une d’elles, Bear Stearns – qui la première frôla la mise en liquidation quand le marché des subprimes se retourna –, annonçait des retours sur investissement pour ses actionnaires quatre fois supérieurs à la moyenne du secteur bancaire. Il suffisait alors de proposer des super-dividendes ou des rachats d’actions pour augmenter encore la rémunération des actionnaires. Alice au pays des merveilles bancaires…

 

            Le système a vu les salaires des jeunes traders atteindre des sommets astronomiques et les banques se les arracher à coups de primes et de bonus. « Seulement » 7,4 milliards de livres sterling de bonus ont été distribués en 2007 à la City, en baisse de 10 % par rapport à 2006. À Wall Street, la hausse fut toutefois de 9 %, pour atteindre la somme de 66 milliards de dollars.

 

            Là où le bât blesse, c’est que la banque n’est pas un métier comme les autres. Vendant de la confiance, les banques ont un comportement naturellement grégaire. Elles doivent être là où les autres sont et ne pas se tromper toutes en même temps. Si la titrisation des crédits subprime réussit à Citigroup, il faut en être, quel qu’en soit le prix. Même si, en se partageant un même gâteau entre un plus grand nombre de convives, la part de chacun se réduit inévitablement. Car la banque, contrairement à l’image qu’elle donne, est une industrie hyperconcurrentielle. Si sur quelques niches certaines arrivent à préserver leurs marges sur un marché jugé porteur par la profession, elles se livrent le plus souvent à une « guerre des prix » qui, en comparaison, fait passer la grande distribution pour un cartel des années 1930.

 

            Comportement moutonnier et concurrence exacerbée : tous les ingrédients étaient réunis pour que les banques baissent leur garde en matière de contrôle des risques. À l’égard des emprunteurs, elles ont ainsi oublié les bons vieux préceptes de prudence – en 2006, la moitié des crédits accordés aux particuliers américains l’ont été sans vérification des revenus ! À l’égard des épargnants, elles ont oublié de faire la distinction entre les investisseurs « avisés » et ceux qui ne l’étaient pas. Les banques ne se sont alors pas privées d’offrir à ces derniers des produits dont les risques pourtant évidents étaient dissimulés sous les doux vocables de « dynamisme », « croissance » ou « performance ».

 

            Puis est arrivé le moment où la dynamique a brutalement pris fin. Nul mieux que Hyman P. Minsky, économiste américain décédé en 1996 et qui aurait mérité le prix Nobel, n’a décrypté et décrit les ressorts des crises bancaires. Le comportement grégaire joue, en effet, dans les deux sens. Après le flux, le reflux. C’est « le moment de Minsky » : après avoir fait preuve d’une confiance aveugle, les banques s’auto-entretiennent dans une défiance tout aussi aveugle. Au point qu’elles ne se font même plus confiance entre elles. C’est ce que l’on appelle une crise de liquidité – plus d’argent disponible à court terme, ou alors à des prix défiant toute rationalité.

 

            Le système bancaire a désormais à résoudre une double incohérence. Alors qu’elles n’ont jamais été aussi réglementées, les banques sont parvenues à se comporter comme si elles étaient à l’abri des lois et du bon sens. Par ailleurs, alors qu’elles ont permis de financer l’exceptionnelle croissance mondiale des dix dernières années, elles la bloquent désormais à long terme. Deux contradictions à dénouer, mais aussi deux défis à relever.

 

2.      La crise bancaire

 

            Concernant l’ampleur des dégâts, les chiffres les plus fous circulent avec, comme toujours en période de crise, des approximations minimalistes et d’autres apocalyptiques.

 

            Commençons par les minimalistes : en juillet 2007, le coût global des subprimes était évalué à 30 milliards de dollars, puis la Réserve fédérale américaine (Fed) a évoqué les chiffres de 80 milliards puis de 100 milliards. Aujourd’hui, un montant de 400 milliards de dollars fait consensus. Et les incurables optimistes de comparer ce chiffre au montant des crédits subprime accordés (1 300 milliards de dollars) ou, mieux encore, au total des crédits bancaires octroyés aux États-Unis, pour mieux minimiser l’impact de la crise actuelle. Or, ce n’est pas en minorant un risque qu’on le fait disparaître. Certes, l’intention est parfois louable : éviter à tout prix un mouvement de panique et se prémunir contre toute accentuation des anticipations récessionnistes. Mais la maladie l’emporte inexorablement sur le remède. Car une minoration des risques permet aux lâches – et ils se multiplient par les temps qui courent – de fuir leurs responsabilités.

 

            L’excès inverse est tout aussi critiquable. C’est Goldman Sachs qui a ouvert le bal dans ce domaine en annonçant une perte pour l’industrie bancaire mondiale de 2 000 milliards de dollars, soit l’équivalent du produit national brut de la France (2 200 milliards de dollars). L’équation est très simple : selon Goldman Sachs, une perte de 1 dollar sur un crédit subprime entraîne une diminution de 10 dollars sur la production de crédits nouveaux ce qui, compte tenu des ratios prudentiels actuels, n’est pas absurde mais ne constitue pas, à proprement parler, une perte.

 

            Allant plus loin, Patrick Artus, l’un des économistes qui a analysé le plus sérieusement la crise actuelle, a – par goût de la provocation ? – proposé un chiffrage à 12 000 milliards de dollars en suivant l’équation suivante : la capitalisation boursière mondiale ayant baissé de 4 500 milliards d’euros ***depuis le début de la crise ?***, le marché des créances titrisées – dont l’encours est de 50 000 milliards de dollars – étant, temporairement au moins, rentré dans une phase de glaciation et les marges sur les dérivés de crédit ayant explosé (jusqu’à 3 % de hausse sur un encours de 35 000 milliards de dollars), on arrive très vite à des chiffres de pertes en capital parfaitement abyssaux. À cela, on pourrait très bien ajouter les pertes de valeur du patrimoine immobilier américain que l’on peut raisonnablement chiffrer à plusieurs milliers de milliards d’euros. L’addition des pertes réelles et potentielles devient, dans ces conditions, très vite astronomique. Il est vrai que les nouveaux principes comptables ont tendance à sanctionner de manière particulièrement brutale tout écart de volatilité. Mais, à trop vouloir additionner des « choux » financiers et des « carottes » bancaires, ne perd-on pas tout sens de la réalité ?

 

            Entre ces deux évaluations extrêmes, si l’on veut procéder à un chiffrage réaliste – même approximatif – des conséquences de la crise des subprimes, il n’est pas absurde d’opérer par cercles concentriques, en partant du « cœur du réacteur », pour mieux comprendre les chaînes logiques qui vont de Santa Clara en Californie au fin fond de la campagne chinoise.

 

• Commençons donc par le « juge de paix » que constituent les profits. Les conséquences de la crise pour les banques sont de trois natures différentes : hausse du coût de refinancement, perte de revenus [1] et sanction comptable – effet des normes internationales d’information financière. L’addition est salée : 24 milliards de dollars de pertes sèches pour Merrill Lynch en 2007, 16 milliards de dépréciation d’actifs et 15 milliards de pertes pour Citigroup – les plus importantes pertes depuis la création de la banque en 1812 –, et ce n’est sûrement pas fini car Citigroup évalue à 141 milliards de dollars son risque maximal de pertes sur ses activités de titrisation (d’un montant total de 314 milliards de dollars), ce qui représente trois fois la capitalisation boursière de la Société générale. Les banques américaines sont évidemment les plus immédiatement frappées. Une banque américaine sur quatre dont les actifs dépassent les 10 milliards de dollars a ainsi perdu de l’argent en 2007. Mais certaines banques européennes, très impliquées dans les dérivés de crédit, ne sont pas en reste : 12 milliards de dollars de dépréciation d’actifs pour la banque britannique HSBC en 2007 et 21 milliards pour la banque suisse UBS en 2007 – avec, en stock, encore 80 milliards d’actifs à risque. Sans même parler des 38 milliards de pertes pour la Britannique Northern Rock.

 

            En comparaison, les pertes affichées à ce jour par les banques françaises (hors Société générale) paraissent limitées : 1 milliard d’euros pour Calyon, l’addition étant plus lourde pour Natixis du fait de l’exposition de sa filiale américaine CIFG. Si seules deux d’entre elles affichent des pertes en 2007 (SG CIB et Calyon), on estime le coût total de la crise sur les comptes de 2007 des banques françaises à 15 milliards d’euros. Toutefois, de nouvelles mauvaises surprises sont possibles et même plus que vraisemblables, et ce alors que certaines banques françaises en sont déjà à se refinancer auprès… d’entreprises industrielles qui disposent de liquidités. Un comble !

 

            La crise des subprimes ne pénalise pas que l’activité bancaire au sens strict. Cette crise n’est pas qu’une crise des subprimes mais une crise de la titrisation au sens large. L’ensemble des activités liées à la titrisation – comme le crédit à la consommation – se trouve donc dans la tourmente. Citigroup affiche pour 2007 une perte de 400 millions de dollars dans ce secteur – contre 2 milliards de gains en 2006 – et 70 % des banques américaines s’attendent à une détérioration de la qualité de leurs encours de crédit à la consommation en 2008. De même pour le secteur des cartes de crédit, Citigroup a ainsi vu ses résultats baisser en 2007 de 60 % après une provision de 500 millions de dollars.

 

            Les profits globaux des banques sont donc, pour nombre d’entre elles, revus à la baisse. Il est clair que les nouvelles normes comptables se révèlent, dans la circonstance, particulièrement pénalisantes. Le plus inquiétant est que cette sanction pénalise aussi les banques les plus vertueuses ***pourquoi ? Expliquer en une ligne les causes à conséquences***. Ainsi en est-il aux États-Unis d’American Home Mortgage, mise en faillite alors même que cette banque s’était bien gardée de toucher aux vénéneux subprimes.

 

            Si l’on cumule les pertes de revenus à venir – montage d’opérations de titrisation, par exemple –, l’augmentation des besoins en fonds propres pour accompagner l’inéluctable mouvement de réintermédiation – c'est-à-dire de réintégration dans les bilans bancaires des opérations de financement – et la hausse du coût de refinancement, il n’y a pas cher à donner de la rentabilité bancaire dans les mois, voire les années, à venir. Comme le notait la Banque de France en décembre 2006 : « Les banques ayant remplacé du risque de crédit (en titrisant les créances qu’elles détiennent) par un risque de contrepartie (en prêtant de l’argent aux “hedge funds”) plus incertain, leur exposition réelle n’est pas nécessairement connue » ***Les parenthèses font-elles partie de la citation ? Sinon, crochets***. On ne peut être plus clair.

 

• Rien d’étonnant à ce que la valorisation boursière des banques soit mise en péril. Entre juillet et décembre 2007, la valeur boursière des 100 plus grandes banques mondiales s’est effondrée de 435 milliards d’euros. L’indice qui regroupe les 600 plus grandes banques américaines a pour sa part baissé de 33 % par rapport à juillet 2007, avec des chutes vertigineuses pour certaines d’entre elles. En ne prenant que les banques européennes, la chute a particulièrement touché les banques britanniques et espagnoles, plus exposées au risque immobilier et plus chères ***valorisées ?*** au départ que les autres.

 

• Qui dit moindre rentabilité dit, inéluctablement, compression des frais généraux et, en premier lieu, dans cette industrie de main-d’œuvre, compression des frais de personnel. 2 500 licenciements chez Lehman Brothers, 4 200 chez Citigroup et 3 000 à la Bank of America. Pour l’ensemble des banques américaines, la crise a déjà supprimé 90 000 emplois. Et le pire semble encore à venir. Le cabinet Punk Ziegle estime qu’un emploi bancaire sur dix pourrait faire les frais, aux États-Unis, de la crise des subprimes. Là encore, les conséquences de la crise américaine se propagent au reste de la planète financière. Pour ne prendre qu’un exemple, la banque suisse UBS, leader mondial de la gestion d’actifs, ayant à annoncer sa première perte depuis dix ans (2,7 milliards d’euros), va diviser par deux ses effectifs dans ses branches immobilières et de titrisation, et fermer sa division de courtage pour compte propre aux États-Unis. Quant à la City londonienne, elle devrait perdre 6 500 emplois en 2008 dans les seules activités de banque d’affaires, le Grand Londres étant directement frappé par cette crise et voyant son taux de croissance passer de 3,6 % en 2007 à 1,4 % en 2008.

 

• Début d’assainissement + baisse brutale des valeurs boursières = reprise des opérations de recomposition du paysage bancaire. L’équation est d’une simplicité absolue et s’est vérifiée tout au long de l’histoire bancaire. L’investissement de Bank of America dans le spécialiste de crédit immobilier Countrywide marque probablement le début de la saison des « soldes » bancaires. Dans les seules villes de Chicago et de Dallas, 12 banques spécialisées dans l’immobilier ont annoncé, depuis juillet 2007, être en pourparlers en vue d’une fusion. Dans un pays qui compte encore 7 500 établissements – cette profusion étant le fruit d’un archaïsme bancaire institutionnalisé au lendemain de la crise de 1929 –, de nombreuses consolidations sont encore à opérer.

 

            Cette évolution est aussi prévisible, à un moindre degré, dans le reste du monde – a fortiori, pour ne prendre que l’exemple de l’Europe, dans les pays dont l’industrie bancaire est restée très éclatée comme l’Allemagne (2 400 banques) ou l’Italie. Avant même la crise des subprimes, l’ampleur sans précédent de ce mouvement de fond avait révélé en 2007 par l’opération ABN AMRO aux membres du club très fermé des patrons de banques. Pour la première fois en effet dans l’histoire bancaire, une banque – et non des moindres puisqu’il s’agissait de la première banque néerlandaise – avait été vendue « à la découpe » à trois autres banques européennes, la Britannique Royal Bank of Scotland, l’Espagnole Santander et la Belge Fortis. L’opération a prouvé que le secteur bancaire pouvait connaître ce que toutes les industries font depuis plus de vingt ans, à savoir « détricoter » des entreprises pour rentabiliser chacune des parties. Cette opération – dont les caractéristiques sont toutefois suffisamment particulières pour ne pas donner lieu à une généralisation outre mesure – a fait l’effet d’un électrochoc auprès de la communauté bancaire internationale. Désormais les banques vont aussi pouvoir jouer au « lego » industriel du fait de l’opportunité de nombreuses fusions-acquisitions…

 

3.      Les réformes à mettre en œuvre

 

            « Il est probable que les temps qui viennent imposeront le premier test tangible pour un changement du modèle économique bancaire ». L’auteur de ces propos – beaucoup moins innocents qu’il n’y paraît de prime abord – n’est autre que Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne (BCE).

 

            Désormais, la banque ne sera plus jamais tout à fait la même. Quel que soit le scénario de sortie de crise, plus ou moins lent, plus ou moins « meurtrier », les banques vont devoir procéder à des révisions déchirantes. Il va falloir notamment qu’elles réintègrent dans leurs bilans une part significative des crédits qu’elles octroient et que les autorités de régulation les aident, voire les encouragent, à le faire.

 

            La titrisation a des avantages incontestables. Elle a permis de disséminer le risque, et donc d’accélérer le financement de la croissance mondiale. Mais le système de « titrisation tous azimuts » est en train de trouver ses propres limites. Les banques doivent réapprendre à assumer les risques qu’elles prennent. Sans pour autant freiner la croissance économique. L’exercice est donc périlleux.

 

3.1.     Le retour des fonds propres

 

            Dans les mois et les années à venir, on devrait assister à « la revanche des briques », c'est-à-dire retrouver le charme des bonnes vieilles agences bancaires qui collectent les dépôts. La revanche du retail sur le corporate, en fait des traditions sur la modernité incontrôlée.

 

            Après deux décennies pendant lesquelles les banques n’ont pensé qu’à verser des super-dividendes ou à racheter leurs propres actions, les fonds propres sont promis à revenir au goût du jour. Si les risques bancaires se réinstallent dans les bilans des banques, il va en effet falloir, pour faire autant de crédits, davantage de fonds propres. Cette évolution a une double conséquence. D’abord les banques vont devoir faire leur deuil des taux de rentabilité très élevés. Rappelons qu’avant la crise, la norme était devenue supérieure à 20 % dans la banque ce qui, dans une économie mondiale qui croît au rythme de 5 % par an, n’est pas tenable.

 

            Deuxième conséquence, les banques vont faire face à l’alternative suivante : soit céder des actifs – ce qu’ont commencé à faire certaines banques comme le Crédit agricole en vendant sa participation dans Suez, ou Merril Lynch en vendant son activité de financement d’entreprise –, stratégie à courte vue et à faible rayon d’action ; soit, solution bien plus pérenne, courtiser leurs actionnaires et, éventuellement, en trouver de nouveaux – et ce au moment où l’aversion au risque est maximale auprès des opérateurs économiques qui privilégient l’obligation d’État et la Sicav monétaire « non dynamique ». Le défi n’est donc pas évident à relever.

 

3.2.     Le rôle des fonds souverains

 

            Là interviennent les « fonds souverains », c'est-à-dire les fonds d’État. Sur ce thème, il faut savoir raison garder. Si ces fonds ne datent pas d’hier – la Caisse des dépôts et placements du Québec ou la Koweit Investment Authority sont immensément riches depuis de nombreuses décennies –, ce qui a changé c’est leur poids relatif dans l’économie mondiale. Ces fonds capitaliseraient aujourd’hui 2 500 milliards d’euros et certaines estimations prévoient que leurs actifs sous gestion culminent à 15 000 milliards d’euros en 2015. Cette tendance n’est que le « dommage collatéral » de l’accumulation de colossales réserves de change par les pays émergents, notamment les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine).

 

            Le poids croissant de ces fonds pose un double problème. En premier lieu, celui du retour de l’étatisme financier. À coup de privatisations plus ou moins réussies, l’État reculait depuis plus de vingt ans partout dans le monde, au moins en tant qu’actionnaire. L’État actionnaire fait, au travers de ces fonds, un retour en force, ce qui n’est pas sans poser des problèmes en termes de gouvernance. Qui dirige en effet ces fonds ? Quels sont les principes d’investissement guidant leurs choix ? Quel contrôle s’exerce sur eux ? Dans ce domaine, les règles du jeu doivent être clarifiées si l’on ne veut pas revenir à l’ère de l’opacité : une réflexion sur les « possumus » et les « non possumus » de ces nouveaux géants de l’investissement doit être menée à bien.

 

            Deuxième problème lié au premier : quelles vont être les cibles d’investissements de ces fonds et quelles menaces ceux-ci font-ils peser sur le contrôle du capital des grandes entreprises cotées de l’hémisphère Nord – et donc sur la souveraineté des pays qui accueillent les sièges sociaux de ces multinationales ? Ces fonds vont-ils se comporter comme « de bons pères de famille », partenaires à long terme des entreprises dans lesquelles ils ont investi, ou, au contraire, comme des prédateurs avides de plus-value à court terme ou de réorientations stratégiques radicales ?

 

            À ce stade, sans préjuger de l’avenir, commençons par rappeler que si la structure du capital des grandes entreprises est très fragile, et ce particulièrement en France, les fonds souverains n’en sont pas responsables. Faisons l’hypothèse que si une meilleure gouvernance de l’économie mondiale voit le jour grâce à la crise actuelle, ces fonds pourront éviter le pire, à savoir la prédation, pour ne conserver que le meilleur, à savoir l’accompagnement à long terme d’entreprises performantes.

 

            Pour les banques à la recherche de solutions à leur problème de réintermédiation, les fonds souverains présentent l’immense avantage de pouvoir investir dans leur capital – même à des prix bradés – et, ce faisant, de contribuer au renforcement de leur capacité de prêt. Certains fonds souverains ne s’en sont, depuis peu, pas privés. Un fonds de Singapour, GIC, a ainsi investi 11 milliards d’euros au capital d’UBS. Un autre fonds de Singapour, Temasek, détient aujourd’hui 16 % du Standard Chartered, 2,5 % de Barclay’s et 9 % de Merrill Lynch. Le fonds d’Abu Dhabi, ADIA, a pris 5 % du capital de la première banque mondiale, Citigroup. Quant au CIC chinois, après avoir évité de justesse de se retrouver actionnaire de Bear Stearn, il est devenu le premier actionnaire de Morgan Stanley avec 10 % du capital de cette banque américaine. Si on ajoute les 6 % de Barclay’s détenus par un autre fonds chinois (CDB), les 7,5 % du capital du fonds d’investissement américain Carlyle détenus par ADIA, et quelques autres participations de ce type, cette vague, qui semble de fond et représentant au total 60 milliards de dollars, a de quoi inquiéter.

 

            La « planète finance » va-t-elle basculer dans l’escarcelle des fonds souverains ? Seuls l’avenir, le bon sens et une volonté collective de mieux réguler l’économie mondiale le diront. À ce stade, ces fonds participent – pour leur plus grand bien, mais aussi pour le plus grand bien de tous – à la recapitalisation des banques qui en ont le plus grand besoin.

 

3.3.     La sécurité des clients

 

            Après le retour des dépôts et des fonds propres, la sécurité des clients des banques est au cœur des enjeux à venir. Les clients de Northern Rock, qui ne sont en rien responsables des errements des dirigeants de leur banque, ont pourtant failli tout perdre. Afin que cela ne se reproduise pas, il convient d’abord de sanctionner les banques, et les dirigeants de celles-ci, qui ont « trahi » leurs missions de banquier, dont la plus importante est la protection de l’épargne qui leur est confiée. Quitte à nationaliser celle-ci de manière temporaire, comme vient de le faire la très libérale Banque d’Angleterre avec Northern Rock et comme l’avaient fait, avant celle-ci, certains pays scandinaves.

 

            Il convient aussi, réintermédiation oblige, de renforcer les mécanismes de garantie des dépôts qui garantissent aux clients des banques de retrouver au moins une partie de leurs avoirs au cas où la banque ferait faillite. Ce mécanisme existe presque partout mais son « pouvoir couvrant » varie très sensiblement d’un pays à l’autre. Son indépendance vis-à-vis de la Banque centrale – faible en Angleterre, presque totale en Espagne et en France –, de même que son niveau de couverture – très protecteur en Italie, significatif en France et ridicule en Angleterre – se devraient d’être harmonisés.

 

            Mais la sécurité des déposants ne doit pas s’arrêter à cette garantie de dernier recours. Elle doit aussi passer par une responsabilisation des banques dans tous les domaines. À commencer par l’activité de conseil à leurs clients : quand une banque vend à ses clients un produit « garanti » au moment même où éclate la « bulle internet », ou quand elle leur fait miroiter les charmes des Sicav monétaires « dynamiques » sans les prévenir des risques qu’ils encourent, sa responsabilité se doit d’être engagée de manière irréversible. Si la profession ne prend pas, très vite et de manière très déterminée, des mesures qui ne soient pas seulement cosmétiques, il faudra, comme l’ont fait les États-Unis avec le Credit Protection Act et le Truth in Lending Act, en passer par la loi. C’est le prix à payer pour que la confiance dans le système bancaire, pierre angulaire du financement de l’économie mondiale, ne s’effondre pas.

 

            Les banques doivent aussi davantage se responsabiliser en matière de gestion pour compte propre ou, à défaut, être aidées à le faire. Si l’on ne veut pas que les banques se transforment en hedge funds incontrôlables et si l’on ne veut pas être obligé, comme le préconise le prix Nobel d’économie Kenneth Arrow, de revenir au Glass-Steagall Act américain de 1934 – qui avait séparé pour un demi-siècle les activités de banque de dépôts et de banque d’investissement –, il va falloir que les banques filialisent d’une manière ou d’une autre leur activité pour compte propre et que ces filiales se voient dotées de ratios prudentiels spécifiques.

 

3.4.     Une nouvelle déontologie interne

 

            Par ailleurs, il est clair que la grille de rémunération des personnels et dirigeants bancaires doit être revue dans les banques d’affaires et de marché pour, comme le note avec tact le directeur du Trésor italien, Giovanni Sabatini, « réduire l’appétit pour le risque et pour le court terme des opérateurs ». L’idée n’est pas de supprimer les bonus des golden boys ni même de les encadrer trop strictement, car la concurrence entre banques aurait tôt fait de rendre ce système inopérant, mais peut-être d’introduire des « malus ». Ces sanctions pécuniaires en cas de pertes, que Salomon Brothers avait pratiquées au début des années 1990, permettraient à la profession d’éviter les traders trop aventureux.

 

            Pour ce qui est du contrôle interne, de nouvelles règles, de bon sens pour la plupart, pourraient être mises en place, notamment à la lumière des défauts sécuritaires mis en évidence par « l’affaire Jérôme Kerviel ». Du contrôle des véritables positions des traders à la mise en place de stress-tests – ces scénarios catastrophes simulés pour faire face à toute éventualité de marché – dignes de ce nom, en passant par la mise en place de véritables parois étanches entre contrôleurs et contrôlés, il y a de nombreuses décisions à prendre. Avec, in fine, la revanche des « back-offices » – à ce jour les obscurs garants de la régularité des opérations bancaires – sur les « front-offices », qu’un coup de projecteur hasardeux a mis en péril personnel, en les incitant à prendre pour leur banque des risques extrêmes.

 

            Tels sont quelques-uns des chantiers que les banques, individuellement et aussi – le jeu en vaut la chandelle – collectivement, devraient entreprendre. Rappelons que les crises bancaires les plus graves durent, en moyenne, huit ans. Les banques de tous les pays du monde doivent donc, résolument et rapidement, mener à bien un examen de conscience approfondi.

 



[1] Finis les financements d’acquisition par emprunt (LBO) et la titrisation… : les émissions de titrisation à moyen terme sont passées de 400 milliards de dollars en juillet 2007 à… 1,73 milliard en février 2008


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2008 - Fonds, fonds, fonds : les très grosses marionnettes



Fonds, fonds, fonds : les très grosses marionnettes


Olivier Pastré

Professeur à l’Université

de Paris VIII




            Tout le monde connaît la fin du refrain de cette légendaire comptine : trois petits tours et puis s’en vont. Ce n’est pas d’actualité. Les fonds occupent le devant de la scène, et ne semblent pas prêts de quitter cette position. La dernière ? Blackstone, l’un des plus gros fonds américains, qui gère 88 milliards de dollars et qui a investi 200 milliards de dollars depuis 1987, date de sa création, s’est introduit en bourse à New York et le succès ne s’est pas fait attendre puisqu’il y a eu 8 fois plus d’actions demandées que d’actions offertes le premier jour de cotation.

            Dans ce contexte, les fonds d’investissement sont mis à toutes les sauces médiatiques. Ce sont les fonds TCI et Atticus qui ont mis le feu aux poudres dans les dossiers Euronext et ABN Amro. Plus récemment, l’équipementier automobile Valeo a fait appel au fond Appolo pour contrer l’offensive sur son capital menée par un autre fonds, Pardus. Pendant ce temps, le bruit courrait que le fonds Colony convoitait le géant de la grande distribution, Carrefour. Quelques jours plus tard, c’était au tour du numéro deux français des services informatiques, Atos, d’être soumis à une offre du fonds Centaurus pour un prix de 4 milliards de dollars. Tous les secteurs d’activité sont donc touchés par la « fondmania ». Et le journal Le Monde de titrer : « Les fonds, acteurs majeurs de l’économie ». Toutes ces opérations financières et toutes ces rumeurs – vraies ou fausses, peu importe – donnent le tournis. Serions nous encerclés par les fonds, avides de rendements élevés et, si possible, rapides ? L’industrie française risquerait-elle d’être vendue à l’encan au cours des mois qui viennent ? Le capitalisme serait-il ainsi en train de changer de visage ?

 

 

1. Les fonds d’investissement : un joyeux mélange

 

            Ni trop d’honneur, ni trop d’indignité. Pour donner aux fonds d’investissement la place qui est la leur dans la recomposition du capitalisme actionnarial qui se déroule sous nos yeux, il faut commencer par savoir ce dont on parle. Il faut cesser de mélanger les choux et les carottes.

            Il existe, en fait, trois catégories de fonds aux profils et aux objectifs très différents les uns des autres. Les deux premières catégories investissent en actions d’entreprises non-cotées en bourse (« private equity »). Du fait de la faiblesse actuelle des taux d’intérêts, l’écrasante majorité de ces fonds investissent dans des opérations de LBO (Leveraged Buy Out) qui jouent sur l’effet de levier de l’endettement et qui concernent de très grosses cibles à rentabilité régulière. Un petit cinquième des fonds de « private equity » font du véritable capital-risque et investissent dans des petites entreprises, généralement à fort contenu technologique. Deux philosophies radicalement différentes, mais un horizon d’investissement rarement inférieur à cinq ans. Troisième philosophie, celle des « hedge-funds », des fonds qui investissent dans des actifs qui s’échangent sur un marché (ce peut être des actions mais aussi des matières premières ou des monnaies), actifs qui sont éminemment liquides. Ces fonds sont des fonds spéculatifs, dont l’horizon de placement se chiffre plutôt en semaines qu’en années. Ce sont ces fonds qui peuvent – c’est leur objectif même – jouer un rôle déstabilisateur sur certaines entreprises cotées.

            L’essentiel tient dans le nouveau rôle social que jouent ces fonds à l’échelle mondiale. Leur poids va croissant. 112 milliards de dollars levés en 2006 contre 27 en 2004 : plus de quatre fois plus, en moins de trois ans. Par ailleurs, leurs investissements se font de plus en plus selon la technique du LBO (Leverage Buy Out), c'est-à-dire en finançant leurs acquisitions par de la dette, ce qui n’est pas sans risque si les taux d’intérêt se prenaient à remonter. Enfin, leurs rendements restent mirifiques : 15% par an, le rêve de tout gestionnaire de fonds.

            Pour commencer, rappelons que ces fonds vivent sur les dysfonctionnements de la mondialisation. Ce n’est que parce que les entreprises connaissent une crise, que parce que des secteurs d’activité sont sous-évalués en bourse, que parce que certains marchés sont inefficients que ces fonds obtiennent de tels rendements financiers. Certains gérants de ces fonds, qui se font les défenseurs de la concurrence pure et parfaite, savent très bien que celle-ci sonnerait le glas de leurs ambitions…

            Mais là n’est pas la principale interrogation soulevée par le développement de ces véhicules d’investissement. On reste là, en effet, dans la morne plaine des évidences économiques : le profit ne peut se nourrir que des imperfections de la concurrence. Parmi les interrogations que suscite l’activisme des fonds, il en existe certaines traditionnelles. Pourquoi l’Europe est elle si absente de ce marché ? Terrain de chasse pour les fonds anglo-saxons, et demain chinois, l’Europe n’arrive pas à structurer, dans ce domaine, une industrie digne de ce nom. La disproportion des forces en présence est impressionnante et ne va pas de manière décroissante : le rapport est de 1 à 5 entre les Etats-Unis et l’Angleterre et de 1 à 10 pour l’Europe continentale. L’absence presque complète de fonds de pensions y est sûrement pour quelque chose mais ne peut pas, à elle seule, expliquer complètement ce retard. Deuxième interrogation classique, que financent ces fonds ? La réponse reste la même : tout sauf ce qui a le plus besoin de financement. En d’autres termes, le capital risque aime le capital, pas le risque. Les opérations de LBOconcernent, dans leur écrasante majorité, des grandes entreprises jouissant d’une très bonne rentabilité (c’est le principe même puisqu’il faut rembourser la dette contractée au moment de l’acquisition…). Donc, des entreprises qui n’ont pas besoin d’argent. Et restent ainsi à la porte des fonds de « private equity », les entreprises en création et les entreprises à fort potentiel technologique (a fortiori si ces dernières opèrent dans le secteur de l’immatériel). Bref, des entreprises qui ont le plus besoin de « cash » pour se développer et créer des emplois.

            Voilà pour les interrogations que l’on peut qualifier de « classiques ». Mais de nouvelles questions sont aujourd’hui posées aux dirigeants de ces fonds. Les premières émanent – souvent mais pas uniquement – du monde syndical. La question est alors posée des « abus » commis par certains opérateurs de ce marché. Pêle-mêle défilent alors – dans des registres très différents et parfois injustement agrégés – l’importance de certains effets de levier d’endettement, l’impact sur l’emploi des entreprises rachetées, les risques de déstabilisation du capital des cibles ou encore les éternels conflits d’intérêts entre investisseurs et prêteurs. Il est plutôt sain que ces questions de bon sens soient posées, dès lors que les fonds d’investissement deviennent incontournables. Aux fonds de répondre, et ils ont commencé – pas toujours de manière totalement convaincante – de le faire.

            La deuxième série de questions a trait aux liens, ambigus et nouveaux, que ces fonds nouent avec la Bourse. Les fonds s’intéressent de plus en plus aux entreprises cotées et, à la suite de Blackstone, commencent à sérieusement envisager de s’introduire en Bourse pour conforter leurs sources de financement. Si capital risque et « private equity » sont dans un bateau et que les deux tombent à l’eau, que reste-t-il ? That is the question.

            Il ne faut désespérer de rien dans la période actuelle. Ces fonds étant désormais sous le feu des projecteurs, on peut espérer qu’eux-mêmes et leurs régulateurs (quand ceux-ci existent) vont se poser à temps les bonnes questions et vont y apporter des réponses convaincantes. On peut rêver aussi que les investisseurs institutionnels, et en particulier les assureurs, volens ou incités par les pouvoirs publics, vont faire plus de vrai capital risque. On peut rêver aussi que la gouvernance de ces fonds va être plus transparente. On peut rêver, enfin, que les investissements de ces fonds vont plus souvent s’accompagner du développement de l’épargne salariale, afin de transformer les salariés des entreprises cibles en véritables partenaires. On peut ainsi rêver. En espérant que le rêve devienne réalité.

 

 

2. Private equity : un nécessaire examen de conscience

 

 « Private equity » : une expression réservée à quelques initiés il y a cinq ans à peine et qui est aujourd’hui presque passée dans le langage courant. Quel chemin parcouru en si peu de temps ! Il n’est plus aujourd’hui seule une bagarre capitalistique dans laquelle un fond de « private equity » ne se trouve pas ou ne soit pas présumé se trouver impliqué. Pour peu, on serait prêt à leur imputer une responsabilité majeure dans la crise du « subprime » américain…

 

Le « private equity » a gagné une visibilité justifiée, mais conserve un côté sulfureux qu’il convient de relativiser. Commençons donc par clore les faux procès. Déstabilisateur d’entreprise ? D’entreprises, rarement ; des managements non performants, souvent. C’est le principe même de ce métier que de repérer des entreprises dont les performances peuvent être améliorées. Antisocial ? La critique est la même ou presque. Les fonds, à la recherche de la rentabilité maximale, font peu de cas de la variable sociale et sont prêt à délocaliser aussi bien qu’à licencier. Il est vrai que certains excès ont été commis, moins d’ailleurs sur le fond que sur la forme  et sur l’accompagnement social de décisions inéluctables (comme dans le secteur textile notamment). Mais l’AFIC, le syndicat professionnel,  a beau jeu de démontrer par les chiffres que les créations d’emploi dans les entreprises financés par le « private equity » sont significativement supérieures à la moyenne nationale. Trop riches ? Ceux qui sont visés ici sont les gérants de ces fonds. Mais quoi de plus normal pour des gestionnaires qui offrent à leurs actionnaires, pas particulièrement philanthropes, des rendements à nul autre pareils. Cet enrichissement, fondé dans la plupart des cas sur l’expérience professionnelle, est-il plus condamnable que celui des jeunes « traders » qui font fortune en quelques « clicks » ? De plus en plus obsédé par la bourse ? On peut certes contester le caractère de « private equity » aux fonds qui s’impliquent de plus en plus dans des opérations boursières. Mais quoi de plus normal pour des fonds, comme Carlyle, que d’aller chercher en Bourse les capitaux dont ils ont besoin ? Et pourquoi interdire aux « veuves de Carpentras » de participer à la création de valeur de ces fonds, ouverts jusque là aux seuls investisseurs institutionnels  ou aux gros patrimoines privés ?

 

Faisons donc table rase de ces accusations sans véritable fondement. Reste au fonds de « private equity » à faire leur examen de conscience et à dénoncer certaines critiques justifiées, si elles ne veulent pas, dans un futur proche, être désignés à la vindicte populaire, et donc au châtiment… fiscal. Trop de fonds anglo-saxons opèrent en France ? Cela veut seulement dire que trop peu de fonds français opèrent dans notre pays. A vous, Messieurs les investisseurs institutionnels, en particulier dans le secteur des assurances, de retrouver le chemin d’un métier que vous avez fait en dilettante dans les années 80 mais qui, fait de manière professionnelle, peut s’avérer parfaitement rentable. Trop de financement de LBO (financement à effet de levier sur des entreprises moyennes ou grosses) et pas assez de

« start up » (financement de la création d’entreprise) ? C’est vrai que le déséquilibre est aujourd’hui très marqué (80% pour les LBO, 5% pour les « start up »). Nul doute qu’une éventuelle hausse des taux d’intérêts va inverser, pour partie au moins, la tendance. Mais,

au-delà de cet effet conjoncturel, la création d’entreprise, si elle est plus risquée, peut aussi être plus rentable que le LBO. Et comme, par ailleurs, la création d’entreprise est, à juste titre, une priorité gouvernementale, se battre pour elle peut vous attirer la bienveillance, y compris fiscale, des Pouvoirs Publics. Antisocial ? Là, la parade est aveuglante d’évidence et certains fonds, trop peu nombreux à ce jour, en ont pris conscience. Pourquoi ne pas accepter de partager une partie du gâteau avec les salariés des entreprises concernées? Pour cela, il existe un mécanisme qui s’appelle l’ « épargne salariale » qui est d’ores et déjà, à votre disposition

(et que l’on doit pouvoir, avec votre aide, perfectionner). Enfin, dernière question à se poser, peut-être la plus cruciale : quid de l’opacité ? Les fonds de « private equity » n’aiment guère « montrer leur copie ». Ils dissimulent aussi bien la composition de leur portefeuille, que le fonctionnement de leurs sociétés de gestion et que - plus ridicule encore - le rôle disciplinaire (au sens positif du terme) qu’ils jouent dans les entreprises dans lesquelles ils investissent. Communiquez que diable ! Vous qui aimez tant investir dans les entreprises de communication, prenez conscience des avantages incontestables d’une certaine transparence. A l’heure de la financiarisation généralisée, le précepte « Pour vivre heureux vivons caché » est totalement démonétisé. Si vous voulez que l’on vous respecte - ce qui me paraît un dû - respectez les Français…


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2008 - Vive les fonds souverains



Vive les fonds souverains


Olivier Pastré

Professeur à l’Université

de Paris VIII




« OPA sur la finance mondiale », « les nouveaux géants de la finance », « les nouveaux maîtres du monde ». Les médias s’en donnent à cœur joie depuis quelques mois. C’est à qui usera de l’hyperbole la plus flamboyante pour désigner ces grosses Sicav Actions que sont aujourd’hui les fonds souverains. Un peu de retenue Messieurs.

 

« Tout ce qui est excessif est dérisoire ». Commençons donc par remettre les réalités à leur place. Certes, l’ensemble de ces fonds doit peser à ce jour aux alentours de 3 000 milliards de $. Certes, si l’on prolonge les trends (ce qu’il est toujours hasardeux de faire en économie), on peut arriver, dans quelques années, à une force de frappe potentielle supérieure à 15 000 milliards de $. Trois remarques toutefois. A supposer que ces fonds investissent 20 % de leurs actifs en action (ce qui paraît déjà beaucoup en matière d’allocation d’actifs), compte tenu de l’évolution de la capitalisation boursière mondiale, ceux-ci représenteront tout au plus  quelques % du CAC mondial. Ce qui constitue une menace potentielle effective pour telle ou telle entreprise n’est ainsi que de peu de poids à l’échelle globale. Ce qui est vrai au niveau micro ne l’est pas toujours au niveau macro.

 

Par ailleurs, cette montée en puissance prendra du temps, et rien ne dit que la stratégie de ces fonds n’évoluera pas dans les dix ans à venir. Cela dépendra, pour partie au moins, de notre comportement à leur égard. Soyons donc prudent dans nos réactions épidermo-protectionnistes. Enfin, il est absurde de faire un amalgame entre des entités que rien ne rapproche les unes des autres, si ce n’est leur type d’actionnariat. Cette communauté est purement théorique. « Les fonds souverains » est un concept aussi creux que celui de « capitalisme familial ».  « Les PME » cela n’existe pas ; les « pays émergents » pas davantage ; « les fonds souverains » encore moins. Chaque fond à sa propre stratégie. Et celle de CPFG, le fonds norvégien créé en 1990 et qui gère 300 milliards de $, est clairement différente de celle des nouveaux fonds russes et singapouriens.

 

Venons-en à l’entrée de ces fonds au capital des banques. Il faut reconnaître que la série de « deals » bouclée au cours des derniers mois a de quoi impressionner. GIC (Singapour) a pris 9 % d’UBS ; CIC (Chine) s’est invité au capital de Morgan Stanley (10 %) et de Blakstone (10 %) ; ADIA (Abu Dhabi) est venu au secours de Merrill Lynch (9,4 %) ; Temasek (Singapour) a pris, avec CIC, 4,2 % du capital de Barclay’s ; voilà maintenant QIA (Quatar) qui met les pieds dans la porte du Crédit Suisse… Au total c’est près de 70 milliards de dollars qui ont été investi par les différents fonds souverains au capital des banques des seuls pays développés (car, pour être complet il faudrait aussi rajouter les 20 milliards de $ injectés par CIC au capital de la Chinese Development Bank). En si peu de temps, ce chiffre a de quoi impressionner.

 

Mais voyons le bon côté des choses. A trois niveaux. D’abord et avant tout, ces injections de capitaux sont de l’hydromel pour de nombreuses banques. Après avoir vidé leur bilan à coup d’opérations de titrisation effectuées à répétition depuis 10 ans, le gel de ce marché leur impose de réintermédier leurs crédits[1]. Et donc d’augmenter leurs fonds propres. Sans même parler des pertes que de nombreuses d’entre elles ont subi sur le marché des « subprimes ». Cette injection de capitaux tombe donc « à pic » à un moment où le capital devient, pour les banques, une denrée rare. Faisons un tout petit effort de mémoire. Ce qui se passe aujourd’hui ne vous rappelle t-il pas l’investissement réalisé en 1990 par le prince saoudien Al Waleed au capital de Citibank, alors dans une situation critique ? Le prince a gagné, au passage, une dizaine de milliards de $ et Citigroup les moyens de devenir… la première banque mondiale. Toutes choses égales par ailleurs, certaines des opérations en cours pourraient très bien se révéler, comme pour Citigroup, « win-win» pour les deux parties, investisseur et investi.

 

Par ailleurs, n’y a-t-il pas une dose, même infinitésimale, de « paternalisme  déçu » dans le mouvement de rejet que suscitent les fonds souverains. Le Nord sauvé par le Sud ? Est-ce bien naturel ? Trois remarques à cela. D’abord ceci ne fait qu’acter le déplacement de la « tectonique des plaques » financières qui est en train de se produire sous nos yeux. Il faut se faire à l’idée que les pays émergents pèseront d’un poids de plus en plus lourd dans l’économie mondiale au cours des années qui viennent. Cette représentativité, qui ne leur est pas reconnue à ce jour dans les instances internationales (FMI,…), devrait-elle aussi leur être refusée sur les marchés financiers ? Par ailleurs, peut-on en vouloir à ces pays de jouer le jeu de la mondialisation que nous avons eu tant de mal à leur enseigner ? Enfin, regardons ce que nos banques ont fait dans ces pays émergents. Quand les banques allemandes, italiennes et françaises ont lancé une véritable OPA sur le système bancaire des pays d’Europe Centrale et Orientale qui s’en est offusqué ?

 

S’ajoute à cela un dernier motif d’optimisme. Certains des investissements réalisés par ces fonds dans certains secteurs de la finance ont clairement pour objectif d’opérer des transferts de technologie. C’est notamment le cas, me semble t-il, pour les investissements fait par certains pays du golfe au capital du Nasdaq, du LSE et de certaines bourse scandinaves. L’objectif de tels investissements est au moins autant d’apprendre à mieux gérer une bourse que de maximiser son TRI. De même, quand la Chine annonce être prête à libéraliser les contraintes en matière d’investissements étrangers dans le secteur de la gestion d’actifs, au lendemain de l’entrée au capital de Morgan Stanley de CIC, cela devrait donner à réfléchir. « Là où est le commerce, il n’est pas de guerre » disait Montesquieu. Peut-être, après tout, que la libéralisation progressive et multilatérale de la finance est facteur d’efficacité. N’est-ce pas ce que l’on nous avait appris ?

 

Pas de diabolisation, donc, des fonds émergents. Pas d’angélisme pour autant. Il est, dans ce domaine, trois impératifs pour l’avenir. Exiger plus de transparence sur la gestion de ces fonds (comme en offre le fonds norvégien, bien plus transparent que tous nos « hedge funds »…). Discuter avec eux d’investissements conjoints : des transferts de technologie intelligents en matière de banque, il y en a encore beaucoup à imaginer et à réaliser sur l’ensemble de la planète. Et enfin, créons, nous aussi, des fonds souverains. Renforçons les moyens de la Caisse des Dépôts, abondons le Fonds de Réserve des Retraites. On pourra alors, beaucoup plus facilement, parler d’égal à égal…

 



[1] Olivier Pastré : « Doctor Jekyll et Mister « Subprime », Perrin 2008.


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