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| Articles 2008

2008 - Vive les fonds souverains



Vive les fonds souverains


Olivier Pastré

Professeur à l’Université

de Paris VIII




« OPA sur la finance mondiale », « les nouveaux géants de la finance », « les nouveaux maîtres du monde ». Les médias s’en donnent à cœur joie depuis quelques mois. C’est à qui usera de l’hyperbole la plus flamboyante pour désigner ces grosses Sicav Actions que sont aujourd’hui les fonds souverains. Un peu de retenue Messieurs.

 

« Tout ce qui est excessif est dérisoire ». Commençons donc par remettre les réalités à leur place. Certes, l’ensemble de ces fonds doit peser à ce jour aux alentours de 3 000 milliards de $. Certes, si l’on prolonge les trends (ce qu’il est toujours hasardeux de faire en économie), on peut arriver, dans quelques années, à une force de frappe potentielle supérieure à 15 000 milliards de $. Trois remarques toutefois. A supposer que ces fonds investissent 20 % de leurs actifs en action (ce qui paraît déjà beaucoup en matière d’allocation d’actifs), compte tenu de l’évolution de la capitalisation boursière mondiale, ceux-ci représenteront tout au plus  quelques % du CAC mondial. Ce qui constitue une menace potentielle effective pour telle ou telle entreprise n’est ainsi que de peu de poids à l’échelle globale. Ce qui est vrai au niveau micro ne l’est pas toujours au niveau macro.

 

Par ailleurs, cette montée en puissance prendra du temps, et rien ne dit que la stratégie de ces fonds n’évoluera pas dans les dix ans à venir. Cela dépendra, pour partie au moins, de notre comportement à leur égard. Soyons donc prudent dans nos réactions épidermo-protectionnistes. Enfin, il est absurde de faire un amalgame entre des entités que rien ne rapproche les unes des autres, si ce n’est leur type d’actionnariat. Cette communauté est purement théorique. « Les fonds souverains » est un concept aussi creux que celui de « capitalisme familial ».  « Les PME » cela n’existe pas ; les « pays émergents » pas davantage ; « les fonds souverains » encore moins. Chaque fond à sa propre stratégie. Et celle de CPFG, le fonds norvégien créé en 1990 et qui gère 300 milliards de $, est clairement différente de celle des nouveaux fonds russes et singapouriens.

 

Venons-en à l’entrée de ces fonds au capital des banques. Il faut reconnaître que la série de « deals » bouclée au cours des derniers mois a de quoi impressionner. GIC (Singapour) a pris 9 % d’UBS ; CIC (Chine) s’est invité au capital de Morgan Stanley (10 %) et de Blakstone (10 %) ; ADIA (Abu Dhabi) est venu au secours de Merrill Lynch (9,4 %) ; Temasek (Singapour) a pris, avec CIC, 4,2 % du capital de Barclay’s ; voilà maintenant QIA (Quatar) qui met les pieds dans la porte du Crédit Suisse… Au total c’est près de 70 milliards de dollars qui ont été investi par les différents fonds souverains au capital des banques des seuls pays développés (car, pour être complet il faudrait aussi rajouter les 20 milliards de $ injectés par CIC au capital de la Chinese Development Bank). En si peu de temps, ce chiffre a de quoi impressionner.

 

Mais voyons le bon côté des choses. A trois niveaux. D’abord et avant tout, ces injections de capitaux sont de l’hydromel pour de nombreuses banques. Après avoir vidé leur bilan à coup d’opérations de titrisation effectuées à répétition depuis 10 ans, le gel de ce marché leur impose de réintermédier leurs crédits[1]. Et donc d’augmenter leurs fonds propres. Sans même parler des pertes que de nombreuses d’entre elles ont subi sur le marché des « subprimes ». Cette injection de capitaux tombe donc « à pic » à un moment où le capital devient, pour les banques, une denrée rare. Faisons un tout petit effort de mémoire. Ce qui se passe aujourd’hui ne vous rappelle t-il pas l’investissement réalisé en 1990 par le prince saoudien Al Waleed au capital de Citibank, alors dans une situation critique ? Le prince a gagné, au passage, une dizaine de milliards de $ et Citigroup les moyens de devenir… la première banque mondiale. Toutes choses égales par ailleurs, certaines des opérations en cours pourraient très bien se révéler, comme pour Citigroup, « win-win» pour les deux parties, investisseur et investi.

 

Par ailleurs, n’y a-t-il pas une dose, même infinitésimale, de « paternalisme  déçu » dans le mouvement de rejet que suscitent les fonds souverains. Le Nord sauvé par le Sud ? Est-ce bien naturel ? Trois remarques à cela. D’abord ceci ne fait qu’acter le déplacement de la « tectonique des plaques » financières qui est en train de se produire sous nos yeux. Il faut se faire à l’idée que les pays émergents pèseront d’un poids de plus en plus lourd dans l’économie mondiale au cours des années qui viennent. Cette représentativité, qui ne leur est pas reconnue à ce jour dans les instances internationales (FMI,…), devrait-elle aussi leur être refusée sur les marchés financiers ? Par ailleurs, peut-on en vouloir à ces pays de jouer le jeu de la mondialisation que nous avons eu tant de mal à leur enseigner ? Enfin, regardons ce que nos banques ont fait dans ces pays émergents. Quand les banques allemandes, italiennes et françaises ont lancé une véritable OPA sur le système bancaire des pays d’Europe Centrale et Orientale qui s’en est offusqué ?

 

S’ajoute à cela un dernier motif d’optimisme. Certains des investissements réalisés par ces fonds dans certains secteurs de la finance ont clairement pour objectif d’opérer des transferts de technologie. C’est notamment le cas, me semble t-il, pour les investissements fait par certains pays du golfe au capital du Nasdaq, du LSE et de certaines bourse scandinaves. L’objectif de tels investissements est au moins autant d’apprendre à mieux gérer une bourse que de maximiser son TRI. De même, quand la Chine annonce être prête à libéraliser les contraintes en matière d’investissements étrangers dans le secteur de la gestion d’actifs, au lendemain de l’entrée au capital de Morgan Stanley de CIC, cela devrait donner à réfléchir. « Là où est le commerce, il n’est pas de guerre » disait Montesquieu. Peut-être, après tout, que la libéralisation progressive et multilatérale de la finance est facteur d’efficacité. N’est-ce pas ce que l’on nous avait appris ?

 

Pas de diabolisation, donc, des fonds émergents. Pas d’angélisme pour autant. Il est, dans ce domaine, trois impératifs pour l’avenir. Exiger plus de transparence sur la gestion de ces fonds (comme en offre le fonds norvégien, bien plus transparent que tous nos « hedge funds »…). Discuter avec eux d’investissements conjoints : des transferts de technologie intelligents en matière de banque, il y en a encore beaucoup à imaginer et à réaliser sur l’ensemble de la planète. Et enfin, créons, nous aussi, des fonds souverains. Renforçons les moyens de la Caisse des Dépôts, abondons le Fonds de Réserve des Retraites. On pourra alors, beaucoup plus facilement, parler d’égal à égal…

 



[1] Olivier Pastré : « Doctor Jekyll et Mister « Subprime », Perrin 2008.


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