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2008 - Fonds, fonds, fonds : les très grosses marionnettes
Fonds, fonds, fonds : les très grosses marionnettes
Olivier Pastré
Professeur à l’Université
de Paris VIII
Tout le monde connaît la fin du refrain de cette légendaire comptine : trois petits tours et puis s’en vont. Ce n’est pas d’actualité. Les fonds occupent le devant de la scène, et ne semblent pas prêts de quitter cette position. La dernière ? Blackstone, l’un des plus gros fonds américains, qui gère 88 milliards de dollars et qui a investi 200 milliards de dollars depuis 1987, date de sa création, s’est introduit en bourse à New York et le succès ne s’est pas fait attendre puisqu’il y a eu 8 fois plus d’actions demandées que d’actions offertes le premier jour de cotation.
Dans ce contexte, les fonds d’investissement sont mis à toutes les sauces médiatiques. Ce sont les fonds TCI et Atticus qui ont mis le feu aux poudres dans les dossiers Euronext et ABN Amro. Plus récemment, l’équipementier automobile Valeo a fait appel au fond Appolo pour contrer l’offensive sur son capital menée par un autre fonds, Pardus. Pendant ce temps, le bruit courrait que le fonds Colony convoitait le géant de la grande distribution, Carrefour. Quelques jours plus tard, c’était au tour du numéro deux français des services informatiques, Atos, d’être soumis à une offre du fonds Centaurus pour un prix de 4 milliards de dollars. Tous les secteurs d’activité sont donc touchés par la « fondmania ». Et le journal Le Monde de titrer : « Les fonds, acteurs majeurs de l’économie ». Toutes ces opérations financières et toutes ces rumeurs – vraies ou fausses, peu importe – donnent le tournis. Serions nous encerclés par les fonds, avides de rendements élevés et, si possible, rapides ? L’industrie française risquerait-elle d’être vendue à l’encan au cours des mois qui viennent ? Le capitalisme serait-il ainsi en train de changer de visage ?
1. Les fonds d’investissement : un joyeux mélange
Ni trop d’honneur, ni trop d’indignité. Pour donner aux fonds d’investissement la place qui est la leur dans la recomposition du capitalisme actionnarial qui se déroule sous nos yeux, il faut commencer par savoir ce dont on parle. Il faut cesser de mélanger les choux et les carottes.
Il existe, en fait, trois catégories de fonds aux profils et aux objectifs très différents les uns des autres. Les deux premières catégories investissent en actions d’entreprises non-cotées en bourse (« private equity »). Du fait de la faiblesse actuelle des taux d’intérêts, l’écrasante majorité de ces fonds investissent dans des opérations de LBO (Leveraged Buy Out) qui jouent sur l’effet de levier de l’endettement et qui concernent de très grosses cibles à rentabilité régulière. Un petit cinquième des fonds de « private equity » font du véritable capital-risque et investissent dans des petites entreprises, généralement à fort contenu technologique. Deux philosophies radicalement différentes, mais un horizon d’investissement rarement inférieur à cinq ans. Troisième philosophie, celle des « hedge-funds », des fonds qui investissent dans des actifs qui s’échangent sur un marché (ce peut être des actions mais aussi des matières premières ou des monnaies), actifs qui sont éminemment liquides. Ces fonds sont des fonds spéculatifs, dont l’horizon de placement se chiffre plutôt en semaines qu’en années. Ce sont ces fonds qui peuvent – c’est leur objectif même – jouer un rôle déstabilisateur sur certaines entreprises cotées.
L’essentiel tient dans le nouveau rôle social que jouent ces fonds à l’échelle mondiale. Leur poids va croissant. 112 milliards de dollars levés en 2006 contre 27 en 2004 : plus de quatre fois plus, en moins de trois ans. Par ailleurs, leurs investissements se font de plus en plus selon la technique du LBO (Leverage Buy Out), c'est-à-dire en finançant leurs acquisitions par de la dette, ce qui n’est pas sans risque si les taux d’intérêt se prenaient à remonter. Enfin, leurs rendements restent mirifiques : 15% par an, le rêve de tout gestionnaire de fonds.
Pour commencer, rappelons que ces fonds vivent sur les dysfonctionnements de la mondialisation. Ce n’est que parce que les entreprises connaissent une crise, que parce que des secteurs d’activité sont sous-évalués en bourse, que parce que certains marchés sont inefficients que ces fonds obtiennent de tels rendements financiers. Certains gérants de ces fonds, qui se font les défenseurs de la concurrence pure et parfaite, savent très bien que celle-ci sonnerait le glas de leurs ambitions…
Mais là n’est pas la principale interrogation soulevée par le développement de ces véhicules d’investissement. On reste là, en effet, dans la morne plaine des évidences économiques : le profit ne peut se nourrir que des imperfections de la concurrence. Parmi les interrogations que suscite l’activisme des fonds, il en existe certaines traditionnelles. Pourquoi l’Europe est elle si absente de ce marché ? Terrain de chasse pour les fonds anglo-saxons, et demain chinois, l’Europe n’arrive pas à structurer, dans ce domaine, une industrie digne de ce nom. La disproportion des forces en présence est impressionnante et ne va pas de manière décroissante : le rapport est de 1 à 5 entre les Etats-Unis et l’Angleterre et de 1 à 10 pour l’Europe continentale. L’absence presque complète de fonds de pensions y est sûrement pour quelque chose mais ne peut pas, à elle seule, expliquer complètement ce retard. Deuxième interrogation classique, que financent ces fonds ? La réponse reste la même : tout sauf ce qui a le plus besoin de financement. En d’autres termes, le capital risque aime le capital, pas le risque. Les opérations de LBOconcernent, dans leur écrasante majorité, des grandes entreprises jouissant d’une très bonne rentabilité (c’est le principe même puisqu’il faut rembourser la dette contractée au moment de l’acquisition…). Donc, des entreprises qui n’ont pas besoin d’argent. Et restent ainsi à la porte des fonds de « private equity », les entreprises en création et les entreprises à fort potentiel technologique (a fortiori si ces dernières opèrent dans le secteur de l’immatériel). Bref, des entreprises qui ont le plus besoin de « cash » pour se développer et créer des emplois.
Voilà pour les interrogations que l’on peut qualifier de « classiques ». Mais de nouvelles questions sont aujourd’hui posées aux dirigeants de ces fonds. Les premières émanent – souvent mais pas uniquement – du monde syndical. La question est alors posée des « abus » commis par certains opérateurs de ce marché. Pêle-mêle défilent alors – dans des registres très différents et parfois injustement agrégés – l’importance de certains effets de levier d’endettement, l’impact sur l’emploi des entreprises rachetées, les risques de déstabilisation du capital des cibles ou encore les éternels conflits d’intérêts entre investisseurs et prêteurs. Il est plutôt sain que ces questions de bon sens soient posées, dès lors que les fonds d’investissement deviennent incontournables. Aux fonds de répondre, et ils ont commencé – pas toujours de manière totalement convaincante – de le faire.
La deuxième série de questions a trait aux liens, ambigus et nouveaux, que ces fonds nouent avec la Bourse. Les fonds s’intéressent de plus en plus aux entreprises cotées et, à la suite de Blackstone, commencent à sérieusement envisager de s’introduire en Bourse pour conforter leurs sources de financement. Si capital risque et « private equity » sont dans un bateau et que les deux tombent à l’eau, que reste-t-il ? That is the question.
Il ne faut désespérer de rien dans la période actuelle. Ces fonds étant désormais sous le feu des projecteurs, on peut espérer qu’eux-mêmes et leurs régulateurs (quand ceux-ci existent) vont se poser à temps les bonnes questions et vont y apporter des réponses convaincantes. On peut rêver aussi que les investisseurs institutionnels, et en particulier les assureurs, volens ou incités par les pouvoirs publics, vont faire plus de vrai capital risque. On peut rêver aussi que la gouvernance de ces fonds va être plus transparente. On peut rêver, enfin, que les investissements de ces fonds vont plus souvent s’accompagner du développement de l’épargne salariale, afin de transformer les salariés des entreprises cibles en véritables partenaires. On peut ainsi rêver. En espérant que le rêve devienne réalité.
2. Private equity : un nécessaire examen de conscience
« Private equity » : une expression réservée à quelques initiés il y a cinq ans à peine et qui est aujourd’hui presque passée dans le langage courant. Quel chemin parcouru en si peu de temps ! Il n’est plus aujourd’hui seule une bagarre capitalistique dans laquelle un fond de « private equity » ne se trouve pas ou ne soit pas présumé se trouver impliqué. Pour peu, on serait prêt à leur imputer une responsabilité majeure dans la crise du « subprime » américain…
Le « private equity » a gagné une visibilité justifiée, mais conserve un côté sulfureux qu’il convient de relativiser. Commençons donc par clore les faux procès. Déstabilisateur d’entreprise ? D’entreprises, rarement ; des managements non performants, souvent. C’est le principe même de ce métier que de repérer des entreprises dont les performances peuvent être améliorées. Antisocial ? La critique est la même ou presque. Les fonds, à la recherche de la rentabilité maximale, font peu de cas de la variable sociale et sont prêt à délocaliser aussi bien qu’à licencier. Il est vrai que certains excès ont été commis, moins d’ailleurs sur le fond que sur la forme et sur l’accompagnement social de décisions inéluctables (comme dans le secteur textile notamment). Mais l’AFIC, le syndicat professionnel, a beau jeu de démontrer par les chiffres que les créations d’emploi dans les entreprises financés par le « private equity » sont significativement supérieures à la moyenne nationale. Trop riches ? Ceux qui sont visés ici sont les gérants de ces fonds. Mais quoi de plus normal pour des gestionnaires qui offrent à leurs actionnaires, pas particulièrement philanthropes, des rendements à nul autre pareils. Cet enrichissement, fondé dans la plupart des cas sur l’expérience professionnelle, est-il plus condamnable que celui des jeunes « traders » qui font fortune en quelques « clicks » ? De plus en plus obsédé par la bourse ? On peut certes contester le caractère de « private equity » aux fonds qui s’impliquent de plus en plus dans des opérations boursières. Mais quoi de plus normal pour des fonds, comme Carlyle, que d’aller chercher en Bourse les capitaux dont ils ont besoin ? Et pourquoi interdire aux « veuves de Carpentras » de participer à la création de valeur de ces fonds, ouverts jusque là aux seuls investisseurs institutionnels ou aux gros patrimoines privés ?
Faisons donc table rase de ces accusations sans véritable fondement. Reste au fonds de « private equity » à faire leur examen de conscience et à dénoncer certaines critiques justifiées, si elles ne veulent pas, dans un futur proche, être désignés à la vindicte populaire, et donc au châtiment… fiscal. Trop de fonds anglo-saxons opèrent en France ? Cela veut seulement dire que trop peu de fonds français opèrent dans notre pays. A vous, Messieurs les investisseurs institutionnels, en particulier dans le secteur des assurances, de retrouver le chemin d’un métier que vous avez fait en dilettante dans les années 80 mais qui, fait de manière professionnelle, peut s’avérer parfaitement rentable. Trop de financement de LBO (financement à effet de levier sur des entreprises moyennes ou grosses) et pas assez de
« start up » (financement de la création d’entreprise) ? C’est vrai que le déséquilibre est aujourd’hui très marqué (80% pour les LBO, 5% pour les « start up »). Nul doute qu’une éventuelle hausse des taux d’intérêts va inverser, pour partie au moins, la tendance. Mais,
au-delà de cet effet conjoncturel, la création d’entreprise, si elle est plus risquée, peut aussi être plus rentable que le LBO. Et comme, par ailleurs, la création d’entreprise est, à juste titre, une priorité gouvernementale, se battre pour elle peut vous attirer la bienveillance, y compris fiscale, des Pouvoirs Publics. Antisocial ? Là, la parade est aveuglante d’évidence et certains fonds, trop peu nombreux à ce jour, en ont pris conscience. Pourquoi ne pas accepter de partager une partie du gâteau avec les salariés des entreprises concernées? Pour cela, il existe un mécanisme qui s’appelle l’ « épargne salariale » qui est d’ores et déjà, à votre disposition
(et que l’on doit pouvoir, avec votre aide, perfectionner). Enfin, dernière question à se poser, peut-être la plus cruciale : quid de l’opacité ? Les fonds de « private equity » n’aiment guère « montrer leur copie ». Ils dissimulent aussi bien la composition de leur portefeuille, que le fonctionnement de leurs sociétés de gestion et que - plus ridicule encore - le rôle disciplinaire (au sens positif du terme) qu’ils jouent dans les entreprises dans lesquelles ils investissent. Communiquez que diable ! Vous qui aimez tant investir dans les entreprises de communication, prenez conscience des avantages incontestables d’une certaine transparence. A l’heure de la financiarisation généralisée, le précepte « Pour vivre heureux vivons caché » est totalement démonétisé. Si vous voulez que l’on vous respecte - ce qui me paraît un dû - respectez les Français…
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