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Aix 2008 – L’impérieuse nécessité
d’une nouvelle gouvernance mondiale


Olivier Pastré

Professeur à l’Université

de Paris VIII




            « Des mesures d’assouplissement additionnelles pourraient bien s’avérer nécessaires ». Dès le 11 Janvier 2008, Ben Bernanke, le patron de la Fed, a rompu avec la tradition en annonçant clairement la baisse des taux d’intérêt américains devant le Women Club à Washington. Et il a franchi un pas supplémentaire en laissant entendre que la Fed pourrait annoncer une baisse du loyer de l’argent, entre deux réunions de son conseil, initiative que la Banque Centrale américaine s’était interdite de prendre depuis le 11 septembre 2001. Depuis cette date, la Fed n’a eu de cesse d’injecter de la liquidité et de baisser ses taux pour venir au secours à l’économie américaine, en voie d’anorexie.

            C’est dire si la Fed est inquiète de la situation économique créée par la crise dite des « subprimes ». Mais c’est dire aussi et surtout qu’elle est en train de remettre en cause ses modes d’intervention. Et ceci constitue une très bonne nouvelle, tant il apparaît clairement que la redéfinition du rôle des institutions, qui sont censées réguler la mondialisation constitue aujourd’hui un enjeu majeur pour les entreprises, thème au cœur de la réflexion de ces 8 èmes Rencontres Economiques d’Aix en Provence.

            A ce jour, les Banques Centrales ont plutôt bien réagi face à la tempête financière. Elles n’ont pas hésité à injecter de la liquidité quand les banques se trouvaient prises à la gorge sur le marché monétaire. Même la BCE, que l’on croyait psychorigide, a, depuis 2007, fourni aux banques tous les « ballons d’oxygène » nécessaires. Les Banques Centrales sont mêmes parvenues, une fois n’est pas coutume, à se coordonner.

            Ce sang-froid doit être salué. Et en particulier celui de Jean Claude Trichet, que certains croyaient totalement déconnecté de la réalité et qui s’est forgé, en quelques semaines, une réputation de lucidité qui a même fait taire – pour le moment au moins – Nicolas Sarkozy. Mais ce sang froid ne doit pas faire oublier que les Banques Centrales, si elles peuvent recevoir l’absolution aujourd’hui, c’est parce qu’elles ont beaucoup péché hier. En ouvrant presque automatiquement et de manière indifférenciée les vannes du crédit lors des crises précédentes – le célèbre « Greenspan put » –, elles ont joué un rôle que les économistes qualifient de « procyclique » – c'est-à-dire qui amplifie les cycles naturels de la croissance économique – et elles ont fourni le carburant monétaire aux crises suivantes. Il n’est plus question, aujourd’hui, de réitérer les erreurs du passé. Car, compte tenu de l’ampleur de la crise actuelle, nous n’en avons plus les moyens. Les Banques Centrales doivent donc réagir. Elles doivent désormais respecter ce que nous appellerons la règle des quatre « tives ».

            Elles doivent d’abord être plus intuitives. Cela veut dire qu’elles doivent, pour mesurer les risques inflationnistes, cesser de focaliser leur attention sur les seuls prix à la consommation. Les prix des actifs (mobiliers et immobiliers) doivent aussi être surveillés. Ces actifs sont, en effet, à l’origine d’« effets-richesse » (plus mon patrimoine se valorise, plus, dans l’absolu, je suis incité à consommer) dont l’importance vient d’être, une fois de plus, démontrée. Surveiller l’inflation, pour mieux la juguler, certes ; mais il faut la surveiller sous toutes ses facettes. Et, pour certains, la valeur de leur patrimoine compte au moins autant que la valeur de leur revenu.

            Les Banques Centrales doivent aussi être plus réactives. « Le Comité (de Politique Monétaire) doit rester exceptionnellement vigilant et flexible et doit être prêt à agir de façon décisive et opportune », a déclaré Ben Bernanke, toujours au Women Club le 11 Janvier 2008. Il était temps qu’au moins un gouverneur de Banque Centrale reconnaisse qu’il fallait, parfois, agir vite. Il serait injuste de ne pas reconnaître que, face à la faillite de LTCM, en 1998, les Banques Centrales ont su réagir en temps et en heure. Mais cela n’a pas toujours été le cas. Et les Banques Centrales se sont trop souvent fait prendre au piège de la conjoncture. Rien n’est plus difficile à détecter qu’un retournement de cycle. Mais rien n’est plus dangereux que de ne pas y faire face en temps réel. Les Banques Centrales vont, donc, devoir revoir leurs procédures d’alerte et leur « arbre de décision ».

            A l’avenir, les Banques Centrales devraient aussi se montrer plus restrictives. On ne peut pas voguer de crise en crise. On ne peut pas, comme l’a fait Greenspan, répondre, presque automatiquement, à toute défaillance du système par une injection massive de liquidité. Une fois le premier mouvement de panique enrayé, il faut reprendre son calme et mesurer les conséquences de ses actes. A quoi conduirait une injection supplémentaire de liquidité aujourd’hui ? A relancer l’investissement ? Sûrement pas. A renforcer les fonds propres des entreprises ? Que nenni. A maîtriser l’inflation ? Encore moins. Cela conduirait, très vraisemblablement à recréer les conditions, sur tel ou tel « nouveau marché », d’une nouvelle envolée des prix. En passant, en plus, aujourd’hui, par la case « inflation ». Messieurs les Gouverneurs, il est temps d’apprendre la vertu de la tempérance et de revisiter, sous cet éclairage, les bons vieux concepts, comme ceux de réserves obligatoires ou de coefficients de capital qui permettent, mieux que tous autres, de doser la capacité des banques à faire n’importe quoi.

            Enfin, dernière vertu à redécouvrir par les Banques Centrales : celles-ci devraient être plus sélectives. Leurs interventions sont trop globales, trop indifférenciées. La machine à créer de la liquidité est, aujourd’hui, à la portée de tout un chacun. Sans discernement. Il y en a pour tout le monde. A l’aveugle. Cela ne peut pas durer. Pour deux raisons au moins. D’abord parce que l’incompétence, l’inconséquence, l’irresponsabilité et, pire, le cynisme doivent être réprimés. A des degrés divers, en fonction de la gravité de la peine. On ne peut pas indéfiniment absoudre ceux par qui le mal a été fait. Mais, plus généralement, parce que, malgré notre scepticisme vis-à-vis de la régulation économique actuelle, nous croyons, fondamentalement, à l’efficacité potentielle – ce qui ne veut pas dire, nous le verrons, absolue – de la politique monétaire. Il existait, au cours des Trente Glorieuses, des instruments permettant de graduer l’impact de la politique monétaire sur tel ou tel secteur d’activité. L’économie de marché a, désormais, démontré sa supériorité sur toute autre forme d’organisation économique connue à ce jour. Ne serait-il pas temps d’introduire un peu de subtilité dans ce mode de régulation ?

            Tels pourraient être les quatre « points cardinaux » à venir de la boussole des Banques Centrales. Mais sachons reconnaître que celles-ci ne sont pas toutes égales face au jugement de Dieu et des hommes. Reste ainsi le cas particulier de la Banque Centrale Européenne. Les quatre règles que nous venons d’énoncer s’appliquent, bien sûr, aussi à elle. Mais elle souffre d’un handicap de départ, dont il faut tenir compte. Comme les cabinets d’audit et les banques d’affaires en plein cœur du scandale Enron, elle est soumise à un grave dilemme, pudiquement désigné sous le vocable de « conflits d’intérêt ». Elle doit, en effet, injecter des liquidités, pour ne pas désespérer le Billancourt bancaire, d’une part, et enrayer l’irrépressible montée de l’euro et lutter contre l’inflation, sa mission première, d’autre part. Cela revient à injecter le venin et à soigner le malade en même temps.

            Face à ce conflit d’objectifs, il ne sert à rien de gesticuler devant les médias. La seule solution passe, dans ce domaine, par la modification des statuts de la BCE afin d’intégrer au cœur de la politique de celle-ci la croissance européenne. Ceci prendra du temps et nécessitera de vaincre de nombreuses réticences. Mais l’Europe, si elle veut éviter la récession, a le choix entre cette solution et … cette solution. Cela réduit considérablement le spectre des hésitations.

            Mais réformer les modalités d’intervention des Banque Centrales ne suffit pas. Car la politique monétaire ne peut pas tout. Pour lutter contre une crise de liquidité, les Banques Centrales disposent de moyens, pour peu qu’elles veulent s’en servir. Mais pour lutter contre une véritable crise de solvabilité, c’est une autre affaire. La question d’une relance budgétaire à l’échelle mondiale se retrouve, dès lors, posée. C’est ce que préconise le nouveau patron du FMI, Dominique Strauss Kahn. Depuis quelques mois, les Plans Marshall sont, à nouveau, à la mode en France (même pour les banlieues…). A l’échelle planétaire, cela paraît plus contestable. D’abord parce qu’il faut financer un tel plan. Et, ensuite, parce que ce qui semble possible pour les pays émergents, compte tenu de leurs réserves de change et de leur retard en matière d’infrastructures, risque de conduire dans les pays développés à plus de déficit public et plus de déficit commercial. Il faut donc y réfléchir à deux fois avant de s’engouffrer dans cette voie. La question n’en reste pas moins posée ce qui constitue, à ce stade, une incontestable nouveauté.

            Mais en attendant de statuer sur ce point, il reste, à très court terme, de multiples réformes à accomplir qui ne souffrent aucune hésitation et aucun délai. C’est l’ensemble de la planète financière qu’il faut ainsi réformer. Rien de moins. Il est dans ce domaine, trois priorités absolues. En fait, dans un monde parfait, il serait une quatrième priorité qui s’imposerait d’elle-même. Celle-ci consiste en la réouverture de certains chantiers de réformes clos trop rapidement. Cela concerne, en premier lieu, en la réfaction progressive de certains marchés financiers de « gré à gré » (qui mettent face à face un seul vendeur et un seul acheteur), comme par exemple, les marchés d’options ou de « futures » - sur lesquels opérait Jérôme Kerviel et, avant lui, Nick Leeson -, au profit des marchés « organisés », comme, par exemple, NYSE-Euronext en matière boursière. Les marchés centralisés offrent, en effet, la garantie d’une meilleure centralisation de l’information et donc d’une plus grande transparence. Dans le même ordre d’idées, la normalisation des produits de titrisation faciliterait grandement le contrôle de ceux-ci. Enfin, toujours dans le même registre, l’introduction de « grains de sable » dans la mécanique parfois trop bien huilée de la mondialisation financière, en permettant d’amortir les à-coups trop brutaux, irait, elle aussi, dans le sens d’une plus grande efficacité, et mérite donc réflexion. Il n’est pas question de revenir sur la Taxe Tobin, qui, mal défendue, s’est discréditée d’elle-même. Mais l’objectif de réduction des « emballées » financières reste, lui, parfaitement d’actualité. Et, dans ce domaine, la généralisation de ratios de capital liés au risque pris par l’ensemble des agents financiers (et pas seulement les banques) semble une piste qu’il est indispensable d’explorer.

            Ces pistes de réforme se heurtent, toutefois, aujourd’hui à trop d’intérêts particuliers pour pouvoir être mise en œuvre dans les délais que nous impose la crise. Soyons donc, dans l’immédiat, moins ambitieux et moins idéalistes. Et commençons par accélérer la mise en place d’une supervision bancaire européenne. Cette réforme, pourtant simple sur le principe, s’est toujours heurtée à des « querelles de clocher » entre régulateurs nationaux au sein de l’Europe des 15 et, a fortiori, des 27. Face à l’ampleur de la crise actuelle, il est temps de mettre un terme à ces « guéguerres » d’un autre âge. Si l’on ne veut pas que les errements de certaines banques puissent passer au travers des mailles des filets des régulateurs européens, il faut se doter d’une instance supranationale, quitte à le faire progressivement et en laissant aux instances nationales un droit de première alerte limité dans le temps. Cette réforme peut paraître technique, voire technocratique. Elle n’en est pas moins essentielle si l’on veut que les « vaches – bancaires européennes – soient bien gardées ». Et pour qu’elles soient bien gardées peut-être faut-il aussi les inciter à garder un peu de risque dans leurs bilans ? Qui sait.

            Plus généralement, il faut que les autorités de régulation de l’activité bancaire renoncent à lâcher la proie pour l’ombre. Au lieu de se focaliser sur les seuls fonds propres des banques (qui ne sont qu’un résultat) elles doivent donner une priorité absolue aux causes des faillites bancaires, c'est-à-dire aux risques, comme le suggère depuis plusieurs années Tommaso Padoa-Schioppa, actuel ministre de l’économie et des finances italien. Afin d’éviter ainsi que les opérateurs les plus régulés soient, par mystique de formalisme, …les moins réglementés. Et ceci en renforçant la coopération internationale entre superviseurs afin d’éviter qu’aux « paradis fiscaux » s’ajoutent des « paradis prudentiels ».

            A l’étage au-dessus, il faut savoir reconnaître que le G7 ne sert plus à rien aujourd’hui. D’abord parce qu’il n’intègre pas les BRIC, qui doivent impérativement participer de manière active à la nouvelle régulation financière mondiale, dont ils constituent un maillon clé. Et, ensuite, parce qu’il n’est plus – cela étant, en partie, lié à ceci – capable que de délivrer de l’« eau tiède » en matière de régulation, comme en témoigne avec éclat la dernière réunion à Tokyo, le 10 Février 2008, au cours de laquelle les grands argentiers de ce monde ne sont parvenus à se mettre d’accord que sur un seul point : la nécessité d’une plus grande transparence de la part des banques. Vœux pieux et, pire, vœux pieux inadapté en cette période où les « effets d’annonce » de la part des banques doivent être gérés avec une extrême prudence.

            Toujours au même étage, une réforme du FMI s’impose d’elle-même. La gouvernance et les missions de ce « gendarme financier de la planète » doivent être révisées de fond en comble. En matière de gouvernance, est-il encore acceptable que les BRIC, qui représentent aujourd’hui 14% du PIB mondial et 42% de la population de la planète, soient marginalisés sur un strapontin dans les instances de décision de cet organisme ? Nous ne le pensons pas. Quant aux missions, il est clair que l’aide aux pays endettés, mission initiale du FMI, ne concerne aujourd’hui que… la France et les Etats-Unis ! A cette mission doit donc se substituer celle de la coordination des politiques monétaires (voire budgétaires). Compte tenu des disparités de points de vue entre pays sur ce thème, la tâche incontournable qui attend Dominique Strauss Kahn, nouveau patron du FMI, n’est pas des plus faciles.

            Enfin, encore à l’étage au-dessus, les normes comptables et prudentielles doivent être revisitées à la lumière de la crise actuelle. Les normes IFRS et Bâle II jouent, toutes deux, avec la notation, un rôle procyclique d’accentuation (et non de lissage comme elles le devraient) des à-coups économiques. « (Ces normes) portent en germe l’instabilité des bilans, voire des dangers systémiques » déclarait récemment Claude Bébéar, ancien patron d’Axa et fervent défenseur de l’économie de marché. Dans le cas des normes comptables (IFRS), qui s’appliquent aux 7 000 entreprises européennes cotées, on en arrive à une situation où les dirigeants d’entreprise parlent de résultats « virtuels » et où, dans certains cas, la dégradation de la note financière d’une entreprise se traduit mécaniquement, pour elle, par un profit. Quant aux normes prudentielles (Bâle II), celles-ci offrent une prime aux crédits « subprime » et pénalisent le capital risque. On marche sur la tête. Il n’est, bien évidemment, pas question de remettre en cause le principe même de ces normes qui sont, globalement, saines. Mais simplement d’accepter les leçons que nous donne la réalité économique. En économie de marché, le pragmatisme n’a jamais nuit. Encore faut-il le reconnaître. Avant qu’il ne soit trop tard.

 


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