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Articles 2006

  • Les restructurations bancaires européennes : bilan et perspectives
    Olivier PASTRÉ
    Conseil Scientifique de l'AMF, Février 2006
  • Keynes et le patriotisme économique à géométrie variable
    Olivier PASTRÉ
    Economie Politique, Nº 31, Juillet 2006, pages 71 à 74
  • Euronext ou les déboires de l’Europe
    Olivier PASTRÉ
    Alternatives Economiques, Juillet 2006, pages 90 à 92
  • Les banques : des modes de gouvernance pas tout à fait comme les autres
    Olivier PASTRÉ
    MA Frison Roche (ed.) « Les banques entre droit et économie », LGDJ, pages 305 à 312
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2006 - Les profits bancaires : quelques vérités oubliées



Les profits bancaires : quelques vérités oubliées


Olivier Pastré

Professeur à l’Université

de Paris VIII




« Où allez-vous en vacances ? ». « Au mois de Juillet ». « Quand partez-vous ? ». « En Bretagne ». Ce célèbre dialogue à la Tati symbolise assez bien la nature des relations entre les banques et la société française. Plein de mauvaises réponses à de bonnes questions. Pour essayer de restaurer un dialogue difficile – au plan institutionnel, car si les Français n’aiment pas « les » banques, ils aiment bien « leur » banque comme en témoignent toutes les enquêtes – il convient de revenir aux fondamentaux.

 

Il faut commencer par rappeler, comme l’a fait un rapport récemment remis à Thierry Breton[1] que l’industrie bancaire est le premier employeur privé de France, qu’elle crée depuis quelques années (et pour une dizaine d’années encore) environ 40 000 emplois par an, plutôt pour des jeunes, plutôt pour des Bac +4 (30 % des embauches) et plutôt pour des femmes. Preuve, s’il en était besoin, que la création de valeur est en France, sous certaines conditions, créatrice d’emploi. Par ailleurs, il faut rappeler que la banque finance l’économie. Nous ne sommes pas aux Etats-Unis, pays dans lequel ce financement est majoritairement assuré par les marchés financiers. En France, la banque reste le principal « poumon » financier de la croissance. Et, comme chacun sait, mieux vaut avoir des poumons sains.

 

Voilà donc pour les fondamentaux. Reste maintenant à porter un jugement objectif sur cette industrie un peu particulière. Commençons par dire que cette industrie est soumise à un double « tsunami » dans le cadre de la mondialisation. Un « tsunami » réglementaire d’abord. IAS 32, IAS 39, Bâle II, SEPA : sous ces sigles technocratiques se dissimulent de nouvelles normes comptables, prudentielles et techniques qui vont complètement bouleverser, à horizon très proche, les conditions d’exercice du métier des banques. Pour faire face à ces défis, les banques doivent aujourd’hui investir massivement et il faut donc leur en donner les moyens. Mais le « tsunami » potentiellement le plus dévastateur est d’ordre concurrentiel. Se constitue, en effet, à l’échelle mondiale, un petit oligopole de « global players » qui sont parfaitement capables, avec quelques mois de bénéfices, en faisant jouer un effet de levier minimal, de racheter la Société Générale et BNP Paribas, sans parler des autres banques privées européennes. Elles sont quatre aujourd’hui (Citigroup, Bankamerica, J.P Morgan et HSBC) qui ont une capitalisation boursière voisine ou supérieure à 150 milliards de $, alors que notre plus forte capitalisation (BNP Paribas) représente a peine la moitié de celle-ci. Et là n’est pas encore le plus grave, car ce qu’il faut bien voir c’est que ces banques sont beaucoup plus profitables que les banques françaises. Les « super profits » des banques françaises qu’il faudrait, selon certains « ponctionner » sont, dans la réalité, très inférieurs aux bénéfices des banques espagnoles, anglaises et, bien sûr, américaines. Et donc, dans la bagarre mondiale qui a éclaté, les banques françaises sont plus fragiles que leurs principaux concurrents.

 

Il n’en reste pas moins vrai que les banques françaises, après les affres de la décennie 80 (rappelons-nous du Crédit Lyonnais), ont restauré leur rentabilité, au prix d’une modernisation accélérée. Cette modernisation s’est-elle opérée au détriment du consommateur ? Non. Là aussi, il faut dénoncer certaines contrevérités véhiculées par certains médias. Quelque soit l’indicateur utilisé, les tarifs des banques françaises sont dans la moyenne européenne. Les banques françaises ne sont pas plus chères que leurs concurrents. Et, par ailleurs, elles ont, depuis deux ans au moins, fait des efforts, souvent sous la pression des Pouvoirs Publics, pour améliorer leur accessibilité (« package » à destination des interdits de chéquiers, simplification de la procédure du droit au compte,…).

 

Cela ne veut pas dire pour autant qu’il n’y a pas encore de progrès à faire pour réconcilier les Français avec « les » banques. Mais pour cela il faut cesser d’égrener les contrevérités. Il faut que les banques françaises soient profitables. D’abord pour lutter à armes égales avec leurs principaux concurrents étrangers. Ensuite, bien sûr, pour avoir les moyens d’être plus citoyennes. Il y a, en effet, encore trop d’exclus bancaire  en France. Exclus de moyens de paiement mais, aussi et surtout, exclus de crédits (ou surendettés, ce qui, in fine, revient au même). Il faut que les banques françaises apportent, mieux qu’elles ne le font aujourd’hui, des solutions bancaires à ceux qui rencontrent ce que l’on appelle pudiquement des « accidents de la vie » (chômage, maladie, divorce). Il faut qu’elles financent plus et mieux la création d’entreprise et l’innovation (surtout si celle-ci est « immatérielle »). La route est donc encore longue. Et les progrès à accomplir sont immenses. Mais pour que les banques françaises soient à l’avenir plus citoyennes encore faut-il qu’elles soient profitables.

 

Changeons donc de registre critique en matière bancaire : soyons un peu moins démagogue et un peu plus pédagogue.

 

 



[1] « Les défis de l’industrie bancaire », Documentation Française, 2006.


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2006 - Les hedge-funds ont-ils dépassé la « hedge » ?


Les hedge-funds ont-ils dépassé la « hedge »[*] ?


Olivier Pastré

Professeur à l’Université

de Paris VIII




 

Les hedge-funds n’ont pas fini de faire parler d’eux. En première ligne sur les dossiers Arcelor, Suez et Euronext, ces fonds, par leur activisme, bousculent la gouvernance de certains de nos « champions nationaux » et remettent ainsi en question le concept même de « patriotisme économique ». Par ailleurs, la quasi-faillite du fonds Amaranth (perte de 60% du capital et licenciement de 60% des effectifs) « interpelle au niveau du vécu » (pour reprendre une expression psychanalytique) ces nouveaux « gendarmes » de la finance mondiale.

Sur ce sujet, comme sur tout autre, il faut raison garder. Ni trop d’honneur, ni trop d’indignité. Le rôle de ces fonds est plutôt positif au niveau macroéconomique et plutôt négatif au niveau microéconomique.

Au niveau macroéconomique, les hedge-funds sont critiquables d’un double point de vue. D’abord, ils ont pour effet d’accroître la volatilité des marchés. Alors qu’ils avaient été créés, à la fin des années 1940, pour permettre une meilleure couverture des risques, ils se sont progressivement transformés, grâce au pouvoir donné par l’effet de levier, en amplificateurs des rythmes boursiers. Par ailleurs, ces fonds souffrent, dans bien de cas, d’une opacité qui justifie certaines mises en garde, voire l’établissement de certains « garde-fous ».

Il n’en reste pas moins vrai que ces fonds, qui, avec leurs 1 300 milliards de dollars, représentent près de la moitié des échanges en bourse, offrent à la Finance ce dont elle a le plus besoin, à savoir la liquidité. Les hedge-funds, en alimentant les marchés en transactions, permettent à ceux-ci de « respirer », ce qui bénéficie à l’ensemble des intervenants. Ce faisant, les hedge-funds assurent une fonction de quasi-service public.

Ce qui est vrai au niveau macroéconomique, ne l’est pas nécessairement au niveau microéconomique. Les hedge-funds sont, par nature, fragiles. Les épargnants leur demandent un rendement supérieur à la moyenne. Ce rendement ne peut être obtenu que par la prise de risques. La faillite de LTCM a failli provoquer une crise systémique en 1998. Il serait urgent de ne pas considérer que le risque a disparu des marchés et des bilans bancaires[†]. Mais ce qui est plus grave c’est que les risques que prennent les hedge-funds sont transférés sur leurs clients sans que ceux-ci en aient toujours clairement la conscience. Cet effet de « dissémination » jouant aussi à plein avec les dérivés de crédit, il convient d’être extrêmement vigilant.

Mais le principal défaut des hedge-funds tient à leur « activisme ». Certains auteurs considèrent que ces fonds, en investissant dans des entreprises mal gérées, assument une fonction « disciplinaire ». C’est probablement vrai dans certains cas. Mais l’objectif de ces fonds étant la rentabilité maximale à court terme, on peut considérer que, dans bien des cas, leur intervention a un effet déstabilisateur. Cela a été clairement démontré dans le cas d’Arcelor. Espérons que cela ne le soit pas dans les cas de Suez et d’Euronext. L’indépendance énergétique de la France et le devenir des Bourses européennes dictés par des actionnaires strictement financiers, cela ne peut, en aucun cas, constituer un optimum.

Que faire face à ces risques ? C’est très simple. D’abord, mieux connaître les hedge-funds en les « incitant » à plus de transparence (en terme de reporting comme en terme d’information de leur clientèle). Ensuite en recomposant le capital de nos « champions nationaux » pour les insensibiliser par rapport à l’activisme « short-termist ». Ah, patriotisme économique, quand tu nous tiens…

 



[*] hedge = limite

[†] O. Pastré, « Les défis de l’industrie bancaire », rapport au Ministre de l’Economie, Documentation Française, 2006.

 


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2006 - La crise des banlieues


La crise des banlieues

 

 

La crise des banlieues, immortalisée par CNN, n’épuise pas la réalité sociale du « Neuf Trois ». Le parcours professionnel de nombreux « anciens » des Facultés de Sciences Economiques et de Gestion de Paris XIII témoigne de la vitalité de cette belle « province » française. Ce sont ces anciens qui se sont mobilisés pour créer au moins « 93 emplois ». Vous trouverez ci-joint la liste des « anciens » qui ont été sollicités pour mener à bien ce projet. Il est demandé à chacun d’entre eux de trouver une piste d’embauche pour au moins un étudiant de Paris XIII. Les CV des étudiants « employables » seront disponibles sur le site « Anciens de Paris XIII.fr ». Les propositions de pistes d’embauches peuvent être communiquées à « Embauche Paris XIII.fr ».

En espérant que l’offre et la demande, pour une fois s’équilibreront... Chacun des signataires se tient à la disposition des anciens de Paris XIII pour leur fournir toute information complémentaire.

 

J.M Chevalier     J.H Lorenzi      O. Pastré      R. Zarader

 

   Liste des Anciens de Paris XIII

 

 

 

ARNOULT Eric

 

BARBET Philippe

 

BENZONI Laurent

 

BELLON Bertrand

 

BOISIVON Jean-Pierre / Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

BLANCHARD

 

BOUBLIL Alain

 

BRITAN Marc

 

BROUSSOT Eric

 

CHENARD Alain

 

CHEREQUE Pierre

 

DE CHALVRON Jean-Guy

 

DINCBUDAK Nezih

 

DRAY Julien

 

DRIENCOURT Jacques

 

DUCASSE

 

GAVEAU Gérard

 

GEOFFRON Patrice

 

GOASGUEN Claude

 

GONZALES Alain

 

GREFFE Xavier

 

GREMONT Valérie

 

GUILLEMIN Christophe

 

GUILLON Pierre-Henri

 

 

 

HASSAN Jean-Claude

 

HELLFER

 

HERAUD

 

HOX Eric

 

JEANDON Patrice

 

JEFFERS Esther - jeffers / Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

KALMAR Eva

 

LAYE Christian

 

LAZAR Pierre

 

LEROC Emmanuel

 

LEVEAU Catherine

 

LORENZI Jean-Hervé

 

MAYER Corinne

 

MATTHIS Jean

 

MATUTO

 

MEYER Dominique

 

MIGETTE Jean-Claude

 

MISTRAL Jacques / Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.       

 

MIZRAHI

 

MULDUR Ugur - ugur.muldur@        

 

NAMUR Dominique

 

PAJMAN F.

 

PASTRE OLIVIER / Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.            

 

PAULARD Claire

 

PINO J.

 

PORCHER Robert

 

SALIN Fabienne

 

TOLEDANO Joëlle

 

TRUEL Jean-Louis

 

ZINZOU DERLIN Lionel / Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 


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2006 - Alter Eco : Keynes


Alter Eco : Keynes


Olivier Pastré

Professeur à l’Université de Paris VIII

Auteur de « Le Patriotisme Économique »

 

 

 

Keynes est irremplaçable. Celui qui déclarait que « les deux vices marquants du monde économique où nous vivons sont que le plein emploi n’y est pas assuré et que la répartition de la richesse et des revenus y est arbitraire et injuste » (Théorie Générale, Payot, 1971, p.372), celui qui était l’ami de Virginia Woolf, le critique attendri de Freud et l’élève d’Alfred Marshall n’a pas fini de nous étonner. Alors que nos gouvernants brandissent le concept de le « patriotisme économique » à tout bout de média pour justifier leur impuissance, alors que la classe politique française, toutes tendances confondues, « se lève pour Danette » mais pas pour Péchiney, alors que le Ministère de l’Economie fustige de manière quasi-xénophobe l’ « indianité » de Mittal lançant une OPA sur Arcelor, alors que ce même gouvernement se révèle, par ailleurs, incapable de défendre l’ « européanité » d’Euronext, il n’est pas inutile de se ressourcer à l’eau vive du patriarche de Cambridge.

 

Traitant de l’ « autosuffisance nationale » dans un article de la Yale Review de Juin 1933, Keynes structure un véritable plaidoyer en faveur d’une certaine forme de protectionnisme. Pour prendre la mesure exacte de cette prise de position, il faut commencer par se mettre dans le contexte de l’époque. L’obsession de l’Europe en 1933 reste la paix. Quelle que soit la cruauté de la crise de 29, tout doit être fait pour qu’une Seconde Guerre Mondiale n’éclate pas. Celui qui s’est élevé, dans « Les conséquences économiques de la paix » (1919), contre le Traité de Versailles, cette « paix Carthaginoise » qui ne pouvait que conduire l’Allemagne au fascisme, considère que l’internationalisme, de par l’intensification de la concurrence qu’il provoque, risque de conduire à un nouveau conflit mondial : « Je suis amené à penser que, par rapport à 1914, une plus grande autosuffisance nationale et un plus grand isolationnisme économique serviront la cause de la paix » .

 

Il faut donc relativiser, lorsque l’on puise dans l’histoire de la pensée économique, pour tenir compte du contexte dans le cadre desquels les théories les plus novatrices ont été conçues. J.M Keynes est le premier à relativiser la portée de ses arguments. Et ce à trois niveaux au moins.

 

 En premier lieu, il considère que, ce qui était valable au XIXème Siècle, ne l’est plus au début du XXème. L’internationalisme a un sens 1) quand l’épargne des pays riches conduit au développement des pays pauvres (en opposant ces flux d’épargne aux mouvements purement spéculatifs des années 20 et 30) et 2) quand les différences  marquées de degré d’industrialisation justifient la Division Internationale du Travail.

 

 Deuxième nuance, et non des moindres pour l’époque, apportée par Keynes : l’isolationnisme est souvent le fait de pays à tendances dictatoriales (les menaces planent en 1933 sur l’Allemagne comme sur la Russie de Staline) et ne peut donc être défendu que dans le cadre de pays à fort ancrage démocratique.

 

 Enfin, troisième élément de relativisation, il n’existe pas, pour Keynes, un modèle unique de patriotisme économique, chaque pays se devant d’adapter les formes de sa politique économique à l’équilibre social qui est le sien. Keynes n’a jamais été dogmatique. Une certaine forme de protectionnisme peut se justifier dans le contexte des années 30. Encore faut-il mettre en œuvre cette politique économique de manière pragmatique et progressive.

 

Quels échos la théorie keynésienne de l’ « isolationnisme à géométrie variable » peut-elle rencontrer de nos jours ? Un écho presque assourdissant dans la situation de déshérence intellectuelle que nous connaissons aujourd’hui. Pour Keynes, il faut commencer par mieux contrôler les mouvements de capitaux spéculatifs qui contribuent à brouiller le système de prix et, donc, le calcul économique. Keynes n’aurait sûrement pas approuvé sans nuance la Taxe Tobin, mais il se serait, au moins, retrouvé dans le diagnostic établi par Tobin sur les dérèglements de la planète financière. Par ailleurs, Keynes critique violemment les pays qui vivent à crédit, faisant financer leur déficit des paiements par l’épargne constituée dans les pays les plus vertueux. Suivez mon regard : Keynes aurait bien imposé des pénalités aux Etats-Unis d’aujourd’hui, vivant de l’ «aumone» chinoise, librement consentie mais jusqu’à quand ? Enfin, troisième volet défensif du programme keynésien, la baisse des taux d’intérêt reste le seul moyen d’éviter la déflation. La BCE n’aurait elle pas intérêt à relire la Théorie Générale pour éviter de mettre un « cap » (pour reprendre une expression boursière) à la croissance européenne ?

 

De manière moins critique et plus constructive, Keynes milite pour la constitution des zones économiques régionales. Le patriotisme, « oui » mais pourquoi ne pas le construire sur une base élargie ? L’Europe ne doit pas être une zone déflationniste, et peut être une zone de croissance et, donc, d’attraction aussi bien des capitaux que des hommes. Par ailleurs, la régulation économique et monétaire se doit d’être mondiale. Non pas pour imposer au monde un « consensus de Washington » générateur d’inégalités, mais pour coordonner les politiques économiques nationales et régionales dans une perspective de relance de la croissance.

 

Rien n’est moins égoïste que le « patriotisme économique » de Keynes. Keynes refuse l’internationalisme sans contrôle. Et ce contrôle se doit d’être opéré pour rendre la croissance plus pérenne et, surtout, plus juste. Comment s’étonner d’une telle prise de position de la part d’un économiste qui regrettait que « l’on soit prêt à éteindre le soleil et les étoiles puisqu’elles ne versent pas de dividendes »…

 


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2006 - Les jeunes et l’entreprise : un divorce qui doit être évité



Les jeunes et l’entreprise : un divorce qui doit être évité


Olivier Pastré

Professeur à l’Université

de Paris VIII






Alors que le CPE embrase la France, il faut s’interroger sur les causes du malaise de la jeunesse.

Parmi les principales causes de ce malaise, figure l’écart qui se creuse entre les jeunes et l’entreprise. Il se creuse à cause du chômage bien sûr. Mais il se creuse aussi du fait de l’incompréhension croissante qu’ont les jeunes de la réalité de l’entreprise. Et, dans ce domaine, le système éducatif a une très lourde responsabilité.

Le monde du travail est de plus en plus concurrentiel, c'est-à-dire de plus en plus difficile. Mais il est aussi de plus en plus ouvert, recélant de plus en plus d’opportunités. Il est de plus en plus technologique, univers dans lequel les jeunes ont un avantage culturel évident. Il est de plus en plus international et mixte.

Face à ces évolutions, l’Ecole, et plus encore l’Université, sont restées figées. Non pas que certains enseignants n’aient pas fait ce qu’il fallait pour adapter leurs cours à la réalité nouvelle. Mais les cursus ont peu changé, et les institutions ont, bien souvent, refusé d’évoluer.

Les jeunes doivent accepter le combat pour l’emploi. Mais il faut que ce soit pour un emploi digne. Et pour cela il faut réduire la « fracture éducative ». Il faut adapter le contenu  des enseignements : pour comprendre l’entreprise, il faut commencer par la connaître. Et il faut aussi adapter les formes d’enseignement. Pour ne prendre que deux exemples parmi tant d’autres, l’enseignement à distance et l’enseignement en alternance sont des formes de pédagogie qu’il faut impérativement encourager.

La désespérance de la jeunesse n’est pas une fatalité. On leur lègue le financement de nos retraites et l’endettement de la France. Donnons-leur au moins une chance de se former et d’aimer le travail. C’est notre intérêt, nous les « vieux », qui avons aujourd’hui le pouvoir de mener à bien des réformes…



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2006 - L’avenir des relations euro-méditerrannéennes



L’avenir des relations euro-méditerrannéennes :
les défis d’une « association renforcée ».


Olivier Pastré

Professeur à l’Université

de Paris VIII




Alors que l’Europe continue à s’élargir vers l’Est, il est plus que jamais temps de s’interroger sur l’avenir des relations euro-méditerranéennes. Deux facteurs militent en faveur d’une telle réflexion. En premier lieu, le processus de Barcelone trouve aujourd’hui ses limites historiques. Ce processus (naturellement lent car à vocation consensuelle) a eu le mérite d’ouvrir un dialogue et de, progressivement, développer des contacts entre les deux rives de la Méditerranée. Son rythme, de même que son intensité coercitive, ne sont toutefois plus adaptés à un environnement géostratégique marqué par le 11 Septembre et, à l’échelle européenne, par l’élargissement. Il faut donc remettre à plat l’ensemble du dispositif pour lui permettre de retrouver un nouveau « souffle » au terme de dix années de « bons et loyaux services ».

 

Cette exigence est renforcée par un second facteur lié à la dynamique (si tant est que l’on puisse employer ce terme…) européenne. Ne nous voilons pas la face : l’Europe sera, au cours des cinq prochaines années totalement mobilisée par deux défis  qu’elle s’est, elle-même, lancée : l’élargissement bien sûr mais aussi la refonte (quel que soit l’alliage issu de cette fusion…) de ses institutions. Dans ce contexte, si une nouvelle ambition euro-méditerranéenne n’est pas forgée ex-ante, il est fort à craindre que, ex-post, les bonnes volontés qui existent aujourd’hui ne soient inexorablement diluées  dans l’océan de l’indifférence communautaire…

 

Pour forger cette ambition nouvelle, il est trois dossiers qui me semble jouer un rôle plus important que d’autres. Ce sont des dossiers de l’agriculture (§I), de la démographie (§II) et de la finance (§III). C’est l’objet de cet article que de définir les contours d’une solution globale à ces trois problèmes majeurs. Ceci nous amènera à laisser dans l’ombre, au moins provisoirement, certains aspects de la coopération euro-méditérranéenne (comme le dossier de l’énergie ou celui de la formation) qui nous semblent relever d’un optimum de second rang, certes nécessaire mais, à ce stade, non suffisant. Ceci nous amènera par contre à esquisser les bases de ce que pourrait être une « association renforcée », fondation indispensable au renouveau de la Coopération euro-méditerranéenne (§IV).

 

 

I – LE DÉFI AGRICOLE

 

Ah ! que ce dossier est difficile. Il touche à de si nombreux intérêts. Il cristallise tant de passions. Il a une histoire si complexe et si chargée affectivement. Pour ne pas reproduire les erreurs du passé dans ce domaine, il faut revenir à l’essentiel. Il faut réaffirmer et assumer le rôle central de l’agriculture pour les pays des deux rives de la Méditerranée. Ce rôle va bien au-delà des chiffres, déjà éloquents, du secteur agricole lui-même : les pays méditerranéens restent des pays enracinés dans leur secteur primaire.

 

 Mais l’agriculture a aussi, dans ces pays, un rôle directement macroéconomique. Dans des pays comme l’Egypte ou le Maroc, où les produits agricoles représentent, en moyenne, près de 45 % de la consommation des ménages (et bien plus pour les catégories sociales les moins favorisées), il n’est pas étonnant que le moindre écart de production et donc de prix aient des conséquences macro-économiques majeures en termes d’inflation, de recettes budgétaires, de consommation et d’investissement. La politique économique des pays méditerranéens ne peut, ainsi, en aucun cas, faire fi du climat et de l’évolution des marchés mondiaux de produits agricoles. Ceci est d’autant plus important qu’un input fondamental en agriculture, à savoir l’eau, fait globalement défaut à cette région. Pour ne prendre qu’un exemple, la rive sud de la Méditerranée, avec 5 % de la population mondiale, ne dispose que de 1 % des ressources mondiales en eau. Cette inégalité originelle est accentuée par une gestion de cette ressource rare qui dans, bien des cas, se révèle désastreuse. Avec des écarts de 1 à 5 en matière de productivité, selon les modes d’irrigation mis en œuvre, on comprend bien que l’équation de l’eau se révèle aujourd’hui, presque impossible à résoudre dans cette région.

 

Mais chacun sait que l’agriculture a un impact qui dépasse très largement le seul champ de l’économique. L’agriculture méditerranéenne est, plus que dans d’autres régions du monde (y compris dans bon nombre de pays émergents), vecteur de cohésion sociale et donc politique. Ceci explique la prudence et le doigté avec lesquelles la modernisation de ce secteur doit être gérée. Et ce qui est particulièrement vrai pour les pays du Sud de la Méditerranée l’est aussi pour les pays de la rive Nord. Les pays du Sud de l’Europe sont, de fait, les plus directement concernés par l’avenir de l’agriculture méditerranéenne. Ces pays sont à la fois les plus touchés (plus de 6 % des actifs employés dans  l’agriculture en Italie, 7,6 % en Espagne et 13,4 % au Portugal contre moins de 5 % en moyenne dans l’Union) et les plus menacés (car les plus directement concurrencés et bénéficiant le moins, au niveau du pourtour méditerranéen, des aides communautaires).

 

La définition de  l’avenir de l’agriculture méditerranéenne, pour que ce processus soit « gagnant-gagnant », n’est possible que si quatre conditions sont respectées :

 

1)     Il faut que les antagonismes entre les intérêts des agricultures des deux rives de la Méditerranée soient reconnus mais ne soient pas surestimés. Des antagonismes existent certes. C’est la conséquence directe de l’identité méditerranéenne. Mais trois facteurs jouent qui en relativisent le caractère irréductible :

 

-         Les véritables problèmes sont ceux des débouchés extérieurs à l’Europe et de l’évolution de la demande de produits agricoles. Sur le premier point, il est clair qu’un accroissement de la demande de produits agricoles « méditerranéens » joue déjà si l’on s’y employait (et pourrait jouer encore plus demain, compte tenu des évolutions  démographiques et de leurs effets en matière d’alimentation) comme un facteur d’apaisement des tensions entre producteurs des deux rives Méditerranée. Sur le second point, l’augmentation rapide de la demande de qualité et de services en matière de production agricole rendra les problèmes de concurrence totalement virtuels si l’ensemble des agricultures méditerranéennes ne se modernise pas en priorité, dans le sens de la qualité prise au sens large.

 

-         Compte tenu de ce qui précède, de nombreux facteurs d’antagonismes verront leur poids relatif diminuer, du fait de la progressivité des évolutions en matière agricole et du fait des délais d’adaptation que cette progressivité offre.

 

-         Enfin de nombreux débats actuels font abstraction des conséquences que pourrait avoir une meilleure concertation entre les deux rives de la Méditerranée sur les questions agricoles. En agriculture moins qu’ailleurs, le raisonnement « toutes choses étant égales par ailleurs » n’a pas sa place, les efforts consentis en matière de gestion de l’eau offrant une parfaite illustration de ce point essentiel.

 

 

Des antagonismes existent donc mais ils nous paraissent, ainsi qu’à la plupart des spécialistes des questions agricoles, parfaitement gérables si la volonté politique existe.

 

2)     Il faut que toute politique dans ce domaine soit marquée du sceau de la gradualité. N’oublions jamais que les problèmes agricoles méditerranéens sont protéiformes, particulièrement complexes et surtout ne relèvent pas que de la seule logique économique. Les tenants du libre échange pur et dur rendent un bien mauvais service aux agriculteurs méditerranéens, dont ils prétendent défendre les intérêts, en exigeant tout, tout de suite. Une libéralisation brutale aurait des effets dévastateurs au Sud en faisant « imploser » certaines cultures  (comme, par exemple, les céréales) et surtout certaines régions. Mais ces effets seraient aussi dévastateurs dans certaines régions du Sud de l’Europe. Une nouvelle politique agricole méditerranéenne se doit donc d’être ambitieuse, mais aussi sélective et graduelle.

 

3)     Il faut que l’urgence de mise en œuvre des réformes soit clairement affichée. Le risque pour les économies méditerranéennes, que présente, à long terme, le réchauffement de la planète est bien réel. Mais là, plus que sur aucun autre problème économique  contemporain, il convient de rappeler que « à long terme (et même à moyen terme) nous serons tous morts ». L’urgence est, en effet, extrême. Elle l’est pour trois raisons au moins :

 

-         Parce que, même en tenant compte de l’échec de certaines négociations récentes de l’OMC, le multilatéralisme agricole progresse, qui rend tout débat sur les préférences régionales chaque jour plus vain ;

 

-         Parce que les avantages comparatifs des pays du Sud de la Méditerranée en matière agricole, d’année en année, s’érodent, plus rapidement peut être que dans tous les autres secteurs d’activité économique ;

 

-         Parce que, enfin, l’élargissement de l’Union, même si l’on n’en mesure pas toutes les difficultés, constitue un défi à très court terme qu’il ne sera possible de relever que si l’on s’en donne les moyens. Rappelons à ceux qui l’auraient oublié que la Pologne et la Hongrie exportaient en 1999 plus de fruits que le Portugal et la Grèce réunis …

 

 

Pour toutes ces raisons, il est urgent d’agir.

 

4)     Il faut qu’une nouvelle « politique de coopération agricole euro- méditérannéenne » soit rapidement lancée. L’Europe a, au cours de l’été 2003, fait un grand pas en avant en matière de PAC. Le principe du découplage des aides a été adopté, qui bouleverse très profondément les règles du jeu actuelles et qui aura donc, à terme, des effets majeurs en terme de comportements des agriculteurs européens, y compris pour ce qui concerne les nouveaux entrants. A moyen terme, il est clair que les subventions agricoles, européennes autant qu’américaines, devront être diminuées puis supprimées. On ne peut, en effet, s’enorgueillir de consacrer chaque année 50 milliards de $ à l’Aide Publique au Développement quand, d’un autre côté, on pénalise, chaque année, les agriculteurs du Sud à concurrence de 250 milliards de $, au travers de subventions diverses et variées en faveur des agriculteurs du Nord. Mais, à court terme, le problème n’est pas là, ou au moins pas seulement. Le problème à court terme est d’agir au plus vite pour relancer le coopération agricole euro-méditerranéenne. Et cela peut se faire, à mes yeux, à trois niveaux :

 

 

1)     Par un effort conjoint pour améliorer la qualité des productions agricoles méditerranéennes. Dans ce domaine, les intérêts entre les deux rives de la Méditerranée sont communs et des moyens doivent donc être dégagés de manière coordonnée pour faire face à ce défi. Un effort tout particulier devra être consenti dans trois domaines prioritaires :

 

-         La gestion de l’eau bien sûr. L’Europe a déjà fait des efforts significatifs dans ce domaine en direction des pays du Sud de la Méditerranée. Un simple doublement de ces efforts ne paraît toutefois pas ingérable sur le plan budgétaire et présente des avantages incontestables à court, moyen et long terme,

 

-         La gestion des hommes aussi. Une intensification des efforts d’assistance et de formation (initiale aussi bien que professionnelle) constitue une clé du succès en matière agricole. Plus d’assistance technique mais aussi plus d’échange de personnels et d’expérience entre les deux rives de la Méditerranée semblent, dans ce domaine, un objectif à la fois réaliste et incontournable

 

-         Une intégration Sud-Sud. Des échanges plus importants mais aussi une meilleure concertation, gage d’une meilleure programmation des investissements, entre pays du Sud  de la Méditerranée semblent devoir être encouragés par l’Europe.

 

 

 

2)      Par la création d’un Forum Agricole Euro-méditerranéen. Des contacts existent déjà au niveau bilatéral qui ont porté leurs fruits. Il convient d’institutionnaliser cette initiative et de lui donner un caractère pérenne. Ce n’est qu’au travers du dialogue permanent que les points de vue pourront être confrontés, que les malentendus pourront être dissipés et que les difficultés pourront ainsi être progressivement aplanies. Ce Forum doit être le cadre de discussions multilatérales qui n’ont que trop tardées. Mais ce Forum doit être aussi la matrice d’une véritable Organisation  Méditerranéenne des Marchés Agricoles qui fait, à ce jour, tant défaut. C’est dans le cadre de ce Forum que, sans pour autant être décidé, pourra, par ailleurs, être discutée et programmée une diminution progressive des subventions agricoles communautaires.

  

3)     Par une coopération renforcée en matière de négociations internationales. Les agriculteurs des deux rives de la Méditerranée ont des intérêts communs dans de nombreux domaines. Par ailleurs, l’Europe, en réformant sa PAC, s’est mise, pour partie au moins, en conformité avec l’OMC. De nombreuses négociations agricoles multilatérales sont en cours. Il est urgent que, sur certains points au moins, l’Europe et le Sud de la Méditerranée fassent  «front commun». La Conférence de Cancun, malgré son échec, a eu au  moins un mérite : celui de démontrer l’existence de coopérations transversales réunissant des pays qui, jusque là, défendaient leurs intérêts commerciaux de manière strictement individuelle. Ces nouvelles coopérations sont, certes, par nature, fragiles. Elles constituent, toutefois, une piste à creuser en priorité pour les pays de la Méditerranée, unis par une Histoire commune. Un  Forum Agricole Euro-méditerranéen digne de ce nom pourrait servir de creuset à une telle coopération « renforcée »…

 

 

II – LE DÉFI DES MIGRATIONS

 

L’Europe vieillit inexorablement et, ce faisant, s’appauvrit :

 

1)       Les femmes européennes ne font, en moyenne, au cours de leur vie, que 1,4 enfants alors qu’il en faudrait 2,1 au moins (chiffre que dépasse les Etats-Unis) pour renouveler la population (rare domaine dans lequel la France est, avec l’Irlande, en avance sur le reste de l’Europe).

 

2)       L’âge médian de la population des Quinze, qui est, aujourd’hui de 38,5 ans, sera en 2050 de 48,5 ans (l’Europe du Sud tirant vers la sénilité l’Europe du Nord).

 

3)       Même avec un taux de 2,1 enfants par femme et un doublement du flux d’immigration, l’Europe n’assurerait en 2050 qu’un ratio de 2,5 jeunes pour un vieux contre 4 pour un aujourd’hui, d’où une accentuation inéluctable des problèmes concernant, entre autres, le financement des retraites.

 

On ne peut tout attendre dans ce domaine de l’élargissement de l’Union. La plupart des études convergent, en effet, vers un potentiel migratoire de 3 à 5 millions d’individus sur une période de 30 ans (dont les 3/4 en direction de l’Allemagne et de l’Autriche). Mais cet apport de capital humain ne se fera pas de manière aussi simple et surtout aussi rapide que certains le prévoient. D’abord la chute de la natalité dans les pays candidats, de même que le phénomène de rattrapage économique constitueront autant de freins au déplacement des populations. Mais surtout le cadre du Traité d’adhésion définit une période de transition de 5 à 7 ans qui ralentira considérablement ce mécanisme de « vases communicants ». Dès lors, on ne peut, à court terme au moins, compter que sur nous même. Il faut donc encourager de manière sélective l’immigration en Europe.

 

Sur l’autre rive de la Méditerranée, le problème est au moins aussi grave mais pour des raisons différentes. Le problème est ici celui de l’arrivée sur le marché du travail d’une population jeune et formée, en quantité sans commune mesure avec les flux passés. La dernier rapport de la Banque Mondiale sur la zone MENA (Middle East North Africa) tire la sonnette d’alarme dans ce domaine : au cours de la période 2000-2010, le nombre d’entrants dans la population active sera en moyenne de 4,2 millions par an, soit le double des nouveaux entrants des décennies précédentes. Il faut donc de la croissance pour absorber cette nouvelle main d’œuvre : 40 millions d’emplois seront ainsi à créer dans ces pays au cours des 15 prochaines années afin de maintenir le taux de chômage à son niveau actuel, considéré comme déjà trop élevé. Mais ce problème est rendu encore plus complexe par le fait que, ces pays ayant consenti un important effort éducatif, le niveau de qualification, et donc les attentes, de cette population sont significativement plus élevés que par le passé.

 

Il est clair qu’un accroissement des flux migratoires entre les deux rives de la Méditerranée ne va pas sans poser de problèmes, sociologiques et politiques autant qu’économiques. Mais l’exemple des Etats-Unis est là pour nous montrer qu’il est parfaitement possible de gérer ces problèmes. Avec 56 millions d’immigrés et d’enfants d’immigrés, soit un cinquième de la population américaine, les Etats-Unis ont, à un coût social qui paraît à ce jour acceptable, un taux d’immigration deux fois supérieur au nôtre (6,6 % contre 3,5 % en Europe). L’Europe a donc encore de la marge.

 

 Il est à noter ici que l’écart avec les Etats Unis ne va aller qu’en se creusant. D’ici à 2050, la population des Etats-Unis va augmenter de 52 millions de citoyens (pour atteindre 336 millions) alors que l’Europe des 15 ne comptera que 4 millions d’habitants en plus (soit 380 millions au total). Rien d’étonnant à ce que le fossé en matière de compétitivité économique se creuse : de plus en plus de vieux européens seront là pour financer les études supérieures de plus en plus de jeunes américains (qui constitueront 24% de la population américaine  en 2050 contre 22% aujourd’hui, alors qu’en Europe ce ratio passera, sur la même période de 18% à….12%) !

 

Pour faire face à ce double défi, il faut réagir vite, sans sous-estimer la complexité des problèmes posés. Une politique européenne d’immigration raisonnée et raisonnable devrait commencer par être véritablement… européenne, et ce dans les trois volets qui structurent toute politique d’immigration (i.e, le statut des réfugiés, la politique d’asile et la politique de visas). En dehors de ce schéma d’harmonisation, point de salut. Toute politique souverainiste dans ce domaine doit être condamnée. Elle ne peut viser qu’à jouer au « mistigri » avec les cartes les plus précieuses qui soient, à savoir les êtres humains.

 

 Une véritable politique européenne d’immigration doit, par ailleurs, s’appuyer sur deux piliers. En premier lieu, une lutte renforcée à l’échelle européenne contre l’immigration clandestine. Cette lutte ne peut et ne doit se faire efficacement qu’à l’échelle communautaire. Cette lutte passe peut-être par des mesures (certes difficiles à définir et à mettre en œuvre) de rétorsion contre les pays qui délibérément refusent de « jouer le jeu ». Mais, au-delà d’une indispensable banque de données des visas accordés, elle passe surtout par la création d’une véritable police des frontières européennes. N’en déplaise aux participants du Sommet de Séville qui ont « calé » sur ce point en Juin  2002 : on ne pourra en aucun cas faire, plus longtemps, l’économie de cette mesure de bon sens.

 

 Mais la politique européenne d’immigration doit, aussi et surtout, passer par des flux migratoires officiels plus intenses. Le plus important dans ce domaine consiste à trouver un juste équilibre dans ces flux. Car le «pillage du Tiers Monde » ne peut impunément se déplacer des matières premières vers les êtres humains. Le retour au commerce triangulaire est un leurre. Ce souci d’équilibre ne relève en aucun cas de l’angélisme mais du plus plat des pragmatismes. Intensifier le « brain drain » du Sud vers le Nord privera, à terme, le Nord des débouchés sans lesquels aucune croissance européenne ne pourra être durable. Il faut donc chercher, avec les pays du Sud de la Méditerranée, des accords permettant de faire profiter l’Europe de la main d’œuvre dont elle a besoin tout en aidant les pays du Sud de la Méditerranée à mieux maîtriser leur problème de capital humain. Cela passe, bien sur, avant tout, par l’encouragement des I.D.E. (investissements directs étrangers) européens dans cette zone, I.D.E. auxquels on trouve ici une justification de plus. Mais cela doit passer aussi par des dispositifs spécifiques.

 

Ces dispositifs doivent viser deux objectifs. D’abord aider les pays du Sud de la Méditerranée à mieux maîtriser leurs flux de diplômés. Et, pour ce faire, deux mesures prioritaires pourraient être arrêtées très rapidement. En premier lieu, favoriser le rééquilibrage des formations supérieures en faveur des formations scientifiques (le poids des formations littéraires restant, à ce jour, beaucoup trop important pour les besoins à venir). En deuxième lieu, plutôt que d’envisager la création d’une ou plusieurs « universités euro-méditerranéennes » (projet maintes fois évoqué mais trop lourd compte tenu de l’urgence), il faudrait considérablement renforcer la présence de chercheurs et d’universitaires européens dans le cadre des formations existantes et à créer au Sud de la Méditerranée.

 

Deuxième objectif à atteindre : faciliter les flux de capital humain entre le Sud et le Nord de la Méditerranée.  La redéfinition des conditions d’attribution des bourses d’étude et la refonte complète des dispositifs d’ « aide au retour » constituent deux vecteurs, parmi d’autres, d’une telle ambition.

 

Ces différentes mesures ne constituent en rien des solutions miracles à l’ensemble des problèmes posés par les flux migratoires entre le Nord et le Sud de la Méditerranée. Elles présentent toutefois l’avantage de faciliter de manière significative l’indispensable relocalisation des activités économiques entre ces deux zones. Et surtout elles présentent l’avantage de pouvoir être mises en œuvre rapidement. Ce qui, compte tenu de l’urgence des défis à relever dans ce domaine, constitue un « plus » incontestable. 

 

 

III – LE DÉFI FINANCIER

 

Commençons par le commencement. C’est à dire commençons par rappeler ce qui manque le plus aux pays du Sud de la Méditerranée : des IDE privés permettant l’élargissement et l’enracinement du tissu des PME locales. Des IDE il n’en est pas ou presque : 5 milliards de $ par an environ pour l’ensemble de la zone, soit environ 1 % du PIB de la zone. Cela représente à peine 4% des IDE mondiaux effectués dans les seuls pays émergents.

 

Par ailleurs, dans cette zone, les investissements sont, de manière écrasante, des investissements publics. Le ratio de l’investissement public au PIB est un des plus élevés au monde : il a culminé à plus de 16 % au début des années 80 avant de revenir à 10 % au milieu des années 90, ce qui reste près de deux fois supérieur à la moyenne des pays en développement. Autre ratio, complémentaire et tout aussi inquiétant : le secteur privé représente dans un certain nombre de pays du Sud de la Méditerranée moins de 20 % des crédits bancaires ! Un dernier ratio pour compléter le tableau : les engagements de la B.E.I. en faveur du secteur privé représentent seulement 30 % des engagements de la Banque en Méditerranée. S’ajoute à cela que les investissements et les prêts, publics ou privés, internationaux ou non, privilégient, dans le secteur privé, les grandes entreprises par rapport aux PME. Résultat des courses : ce qui fait, sans aucune contestation possible, l’essentiel de la croissance présente et à venir de cette région du monde est le plus délaissé par les circuits de financements actuels.

 

Il faut donc réagir. Il faut donc impulser un nouveau processus de financement des entreprises privées du Sud de la Méditerranée. Il faut donc multiplier les « tuyaux » financiers susceptibles de canaliser l’épargne, surabondante en Europe, vers des emplois productifs, rentables et sécures au Sud de la Méditerranée. Dans ce domaine, il suffirait, pour commencer, par mettre en œuvre les réformes dont les contours ont déjà été tracés depuis de nombreuses années. En premier lieu, il faut développer les marchés financiers du Sud de la Méditerranée. Le financement des économies méditerranéennes ne se fera jamais prioritairement par les Bourses ; le financement de marché est et restera plus développé au Nord-Ouest, dans les pays anglo-saxons, qu’au Nord Est et au Sud. Rappelons néanmoins qu’historiquement la deuxième plus ancienne bourse du Monde (après Bruxelles) fut celle d’Alexandrie ; preuve s’il en était besoin que financement boursier et croissance méditerranéenne ne sont pas incompatibles. Il faut donc tout faire pour redonner aux marchés boursiers du Sud de la Méditerranée la tonicité qu’ils ont eue au début des années 90. Pour cela, il faut encourager, y compris fiscalement, les investisseurs institutionnels, de là-bas ou d’ailleurs, à faire le pari de ces pays émergents. Pour cela, il faut peut-être aussi envisager la double cotation des entreprises de cette région, sur place et sur une bourse européenne. Des marchés financiers liquides et bien irrigués c’est, rappelons-le, le plus sûr garant du financement au meilleur coût des entreprises les plus performantes.

 

Mais cela ne suffira pas, pour les PME notamment. Il faut donc, en priorité, créer et développer dans cette zone une véritable industrie du capital risque. Ce qui, en effet, fait le plus défaut aux PME méditerranéennes, ce sont, là-bas plus qu’ailleurs, les fonds propres. Des fonds propres plus importants, c’est le plus sûr garant d’un accès à un financement bancaire plus facile et moins coûteux, mais c’est aussi et surtout le viatique le plus efficace pour nouer des partenariats à l’étranger. L’insigne faiblesse des fonds propres des PME méditerranéennes est à l’image de l’insigne sous-développement du capital risque dans cette région. La BEI s’enorgueillit d’avoir consacré 150 millions de $ au renforcement des fonds propres des PME méditerranéennes. C’est évidemment mieux que rien. Mais c’est une goutte d’eau par rapport à l’immensité des besoins existants et à venir. Dans ce domaine, une piste de réflexion mérite d’être creusée et une proposition mérite d’être formulée. La piste de réflexion consiste à faire de l’Europe la plaque tournante des capitaux en provenance du Golfe et en direction des opérations de « private equity » en Méditerranée. Rappelons que les avoirs des pays du Golfe investis en Europe représentent environ 300 milliards de $. Rappelons que l’Europe dispose d’une industrie du capital-risque qui rivalise aujourd’hui avec son concurrent américain. Pourquoi ne pas envisager que l’Europe, en sécurisant, par son professionnalisme, ces opérations d’investissement, participe au recyclage Sud-Sud des capitaux du Moyen-Orient à la recherche de rendements supérieurs à la moyenne ?

 

La proposition, elle, ne souffre d’aucun questionnement. Il faut massivement augmenter la part des capitaux consacrée par l’Europe au capital risque en Méditerranée. Un triplement des sommes allouées à ce type d’intervention paraît un objectif parfaitement réaliste dans les trois ans qui viennent. L’argument selon lequel ce sont les opportunités d’investissement qui font défaut est irrecevable dès lors que l’on envisage une présence plus marquée des organismes financiers publics européens sur le terrain (cf. infra).

 

Troisième réforme à mettre en place, celle de la garantie des investissements. Il n’y aura pas plus d’IDE si les investisseurs ne se sentent pas en confiance. Cette confiance passe bien sûr par de multiples réformes en matière de gouvernance dans les pays du Sud de la Méditerranée. Mais cette confiance passe aussi par la mise en place et le développement de mécanismes assurrantiels : la Coface en France, le Loan Garantee Scheme en Angleterre et le JSBCI au Japon ont démontré que les mécanismes de garantie partielle des capitaux contribuaient à l’essor des investissements, notamment dans les segments de marchés perçus comme les plus risqués. Ce qui est vrai en Europe, l’est aussi au Sud de la Méditerranée. Le lancement d’un programme de garantie des investissements en Méditerranée paraît, de ce point de vue, un point de passage obligé de la relance des IDE dans cette zone, en particulier pour les pays perçus comme les plus risqués (Libye et Algérie notamment) et pour les investissements considérés comme les plus aléatoires (« strat up » notamment).

 

Par rapport à ces trois pistes de réformes qui ne présentent aucune nouveauté particulière (et à d’autres comme la création d’une banque des PME dans chacun des pays du Sud de la Méditerranée ou le développement des nouveaux métiers financiers comme le crédit à la consommation ou le leasing), il en est deux sur lesquelles il faut insister car elles présentent une novation au moins relative.

 

La première piste est celle de l’épargne des Résidents Maghrébins à l’Etranger (RME). L’épargne des RME représente, selon les estimations (par nature, difficiles à établir avec précision), entre 50 et 100 milliards de $. Dériver 10 % de cette masse de capitaux vers des investissements productifs au Sud de la Méditerranée reviendrait à doubler ou tripler le volume annuel des IDE dans cette zone. Cette dérivation est parfaitement réalisable. En effet, si les investissements des RME de la première et de la seconde génération étaient principalement orientés vers l’achat d’une résidence dans le pays d’origine, ceux de la troisième génération sont beaucoup plus ouverts à des investissements productifs. Ce qui fait défaut en l’occurrence c’est, une fois de plus, « des tuyaux financiers » permettant de mettre en adéquation cette offre de capitaux avec des projets productifs « bancables ». La BEI au niveau européen et l’AFD au niveau français sont parfaitement adaptés pour mettre en place de tels « pipelines ». Pour peu que leurs modes d’intervention soient quelque peu reformatés et, surtout, que la volonté politique existe.

 

Deuxième piste de réforme, de loin la plus urgente et la plus importante : la création d’une Banque pour le Développement de la Méditerranée. Il ne s’agit pas là d’une idée nouvelle. Cela fait plus de dix ans que, de loin en loin, l’idée resurgit, sous des formes diverses et variées. Trois raisons au moins nous semblent justifier le fait que cette idée soit reprise aujourd’hui et, enfin, concrétisée. Tout d’abord, il est désormais démontré que laBERD, malgré des débuts contestables, a contribué de manière déterminante au financement du secteur privé dans les PECO. Par ailleurs, il convient de noter que la Banque Mondiale et la SFI ne jouent plus, dans la zone MENA, le rôle que ces deux institutions jouaient dans les années 70 et 80, en partie au moins en raison de l’effet d’éviction provoqué par le faible coût de financement de la BEI. S’ajoute à ceci (ceci expliquant pour partie cela) une impasse de financement du secteur privé qui n’a jamais connu un telle ampleur. Face à ce diagnostic, de multiples solutions sont envisageables. Ma conviction est que toute solution, qui ne passe pas par la création d’une institution dédiée au financement du secteur privé dans les pays du Sud de la Méditerranée, est vouée sinon, à l’échec, au moins à l’impuissance relative. C’est le cas notamment de la consolidation de la FEMIP, formule privilégiée par les Pouvoirs Publics aujourd’hui, qui a le mérite de la simplicité et de l’innocuité diplomatique (de nombreux pays du Nord de l’Europe n’étant pas favorable a priori à un accroissement de l’engagement de l’UE en faveur des pays du Sud de la Méditerranée) mais qui présente l’inconvénient de dissoudre l’engagement communautaire dans une mécanique administrative trop complexe et trop biaisée en faveur des dossiers de financement des infrastructures. C’est la Commission elle-même, au terme d’une « analyse d’impact approfondie » qui aboutit à ces conclusions : « Par comparaison (avec la FEMIP), l’option de la filiale peut s’avérer plus efficace pour ce qui est d’atteindre l’objectif de développement du secteur privé, en ce qu’elle permettrait d’adopter une orientation moins réticente face au risque que celle de la BEI, de créer une « capacité institutionnelle » proactive en consacrant un volume élevé de ressources en personnel aux opérations bancaires relatives au secteur privé, de se rapprocher des opérateurs locaux, de pratiquer des tarifs orientés sur ceux du marché, couvrant à la fois une plus grande prise de risque et des coûts de fonctionnement plus élevés, ainsi que de proposer l ‘éventail complet des produits financiers les plus modernes destinés au financement du secteur privé, encore peu disponibles au niveau local » (Communication de la Commission au Conseil : « Organiser le soutien au développement du secteur privé en Méditerranée », Septembre 2003, p. 18). Tout est dit dans cette citation et dans ses attendus : sur 25 critères retenus par la Commission, dans dix cas, la solution « filiale » se révèle plus efficace que la solution FEMIP alors que dans un cas seulement la solution FEMIP l’emporte. La Méditerranée a impérieusement et urgemment besoin d’une Banque dédiée. Cette formule est le plus sûr garant de l’efficacité, car seule une institution peut accompagner des projets dans ce qu’ils ont de plus instantané et de plus « terre à terre ». C’est aussi le plus sûr garant de la permanence et de la continuité, car seule une institution, dotée d’organes propres, peut assurer un véritable financement à long terme.

 

Deux seules conditions à la création de cette indispensable institution. D’abord une diminution drastique de la taille moyenne unitaire des engagements : si la BEI fonctionne sur la base du financement de projets d’un montant moyen unitaire supérieur à 100 Millions d’euros (155 millions pour 2002, contre 35 pour la BERD et 15 pour la SFI), l’avenir du financement des P.M.E. au Sud de la Méditerranée passe par des financements «  vernaculaires » dont le montant unitaire moyen ne peut qu’exceptionnellement dépasser le million d’euros. Que d’habitudes et de pratiques à réformer pour arriver à ce résultat… Deuxième condition, liée à la première, une Banque pour le Développement de la Méditerranée ne pourra fonctionner de manière efficace que si elle se dote de filiales locales. Une fois encore, sans enracinement de proximité, il n’est pas envisageable de mettre en place un financement pertinent des PME. Que ce financement passe par des sociétés de capital risque locales ou soit effectué en direct n’y change rien : le financement des PME privées dans les pays du Sud de la Méditerranée ne pourra se faire de manière efficiente que sur la base d’un financement de proximité.

 

 

IV – LES CONTOURS D’UNE « ASSOCIATION RENFORCÉE »

 

Le processus de Barcelone a au moins un mérite : celui d’exister. Mieux : il a permis de faire prendre conscience de l’ « impérieuse nécessité » d’associer les pays du Sud de la Méditerranée à la construction européenne. Ceci posé, le processus de Barcelone ne semble plus adapté, dans sa configuration actuelle, aux défis que l’Europe a à relever aujourd’hui. Le processus de Barcelone « souffre » d’une triple « maladie » :

 

1.      en tant que tel, il n’engage juridiquement personne ; ce qui fait sa souplesse fait aussi sa fragilité ;

2.      il exclut de son champ deux dossiers économiques majeurs : l’agriculture et les flux de population ; faire l’impasse sur de tels dossiers revient à recréer un « échange inégal » ;

3.      au niveau de sa mise en œuvre, il a connu des retards et des renoncements ; moins que peu, cela ne fait pas beaucoup…

 

La situation géostratégique mondiale a changé depuis 1995. Les attentats du 11 septembre comme la guerre en Irak ont créé  une fantastique « demande d’Europe » que l’UE doit s’efforcer de satisfaire. Par ailleurs, le succès (certes coûteux) de l’élargissement vers l’Est crée un déséquilibre Est-Sud qui ne pourra, à l’avenir, si rien n’est fait, que s’accentuer. L’UE doit tenir compte de ces nouveaux équilibres et promouvoir, avec les pays du Sud de la Méditerranée, une « association renforcée ». « Ni simple association de libre échange, ni adhésion pleine et entière » comme l’a défini l’ancien Président de la Commission, Romano Prodi, l’ « association renforcée » ne pourra trouver sa justification que si on en précise les contours. Les concepts de « voisinage » et de « pays amis » sont utiles mais ils restent, à ce stade, trop flous. Il convient de leur donner une véritable consistance.

Un certain nombre d’initiatives concrètes, qui vont dans le bon sens, méritent d’être encouragées : ainsi en est-il, au Sud, de la Déclaration d’Agadir visant à intensifier les échanges commerciaux entre le Maroc, la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie ; ainsi en est-il de même de la création de l’Assemblée Parlementaire euro-méditerranéenne, lieu de concertation consultatif permettant aux parlementaires des deux rives de la Méditerranée d’échanger leur expériences. Ces efforts vont dans le bon sens mais, à nos yeux, ne suffisent pas. Il faut donner une dimension, et donc une signification, nouvelle au partenariat euro-méditerranéen. Ceci passe par le respect de six conditions au moins :

 

1.      Il convient de rééquilibrer le poids respectif de l’économique et du politique. Dans l’esprit de Barcelone, c’est la paix et la sécurité qui devaient créer les conditions de la croissance et du développement. Notre conviction est que, aujourd’hui, il faut inverser le raisonnement et privilégier la croissance si l’on veut obtenir la paix et la sécurité. Cette croissance des pays du Sud de la Méditerranée, qui doit bénéficier à l’UE et que doit donc encourager l’UE, peut et doit être obtenue par différents moyens complémentaires. Notre conviction est que :

-         parmi ces moyens, une priorité doit être donnée aux Investissements Directs Etrangers (IDE) ;

-         parmi ces IDE, une priorité doit être donnée aux IDE réalisés par des entreprises privées et

-         ces IDE doivent bénéficier en priorité aux PME. Ce sont, en effet, les PME privées du Sud de la Méditerranée, existantes ou à créer, qui, à mes yeux, feront jouer l’effet de levier le plus important en matière de croissance, de création d’emploi et de démocratisation. C’est donc cette « création de valeur » qu’il faut en priorité encourager.

Afin de crédibiliser le poids de l’économique dans le partenariat euro-méditerranéen, une réunion annuelle des Ministres de l’Economie et des Finances et des Gouverneurs des Banques Centrales des pays des deux rives de la Méditerranée se devrait d’être instaurée afin de prendre la mesure des progrès accomplis dans ce domaine et, année après année, d’ouvrir de nouvelles perspectives.

 

2.      Il convient de rapidement et significativement augmenter les ressources affectées au partenariat. Les chiffres sont désormais bien connus : l’Europe a mobilisé 730 milliards de $ pour la réunification allemande ; elle a consacré directement ou indirectement 60 Milliards de $ pour les PECO ; en comparaison, les pays de la zone MENA (dont la population est presque le double de celle de la zone PECO) n’ont bénéficié de concours européens qu’à hauteur de 15 milliards de $. La disproportion des enjeux et des capitaux mobilisés est, quelque soit l’angle de vue choisi, criante.

Il est vrai que le statut passé et à venir des pays de la zone PECO et de la zone MENA n’est pas le même. Il est vrai aussi que l’ensemble des fonds destinés à la zone MENA n’a pas pu, tant s’en faut, être débloqué (pour des raisons qu’il faut analyser plus en détail mais qui relèvent, pour partie au moins, des mécanismes de décision européens). Il n’empêche : la masse de capitaux consacrée par l’Europe au partenariat euro-méditerranéen nous semble totalement disproportionnée par rapport aux besoins et aux enjeux qui sont en cause. En toute première approximation (qui devra être affinée, ce qui constitue, en soi, un exercice pédagogique salutaire), on peut considérer qu’un doublement des sommes budgétées pour la période 2006-2009 constitue un objectif à la fois ambitieux et réaliste. Mais pour que cette enveloppe supplémentaire joue son rôle de catalyseur de projets, il faut que ces crédits soient débloqués rapidement afin de crédibiliser le surcroît d’énergie économique dont doit être porteuse une « association renforcée ».

 

3.      L’augmentation des moyens financiers consacrés au partenariat euro-méditerranéen n’a de sens que s’il sert de levier à l’intégration économique des pays du Sud de la Méditerranée. Les chiffres sont connus : moins de 5 % des échanges des pays de la zone MENA se font sur une base régionale (contre plus de 50 % pour l’UE). Or il est aujourd’hui démontré que, dans le cadre de la mondialisation, l’intégration régionale constitue un atout pour chacun des pays qui y participent. A quelques exceptions près, les entreprises en phase de mondialisation ne misent plus uniquement sur des considérations de coût de production ; la taille du marché « sous jacent » importe au moins autant. La capacité d’attraction des IDE dépend donc de plus en plus de l’intégration économique régionale. Dans ce domaine, le Sud de la Méditerranée occupe une place à part : non seulement son intégration économique est très faible par rapport aux autres zones, mais elle va plutôt en décroissant.

L’Europe a, dans ce domaine, une responsabilité : ayant contribué à attirer les économies de cette zone vers son marché intérieur, elle se doit de contribuer, pour défendre au mieux ses propres intérêts, à l’intégration économique des pays du Sud de la Méditerranée. Quand on sait que 10 % à peine des actions MEDA ont un caractère régional, on mesure le chemin qui reste à parcourir. Le supplément d’effort financier consenti par l’Europe en faveur du partenariat euro-méditerranéen doit donc se faire sur la base d’une stricte conditionnalité en matière d’intégration économique régionale. Et cette intégration ne doit pas concerner seulement les grands projets d’infrastructure. Elle doit aussi, et je serais tenté de dire surtout, s’appliquer aux projets structurés autour de PME.

Si l’intégration politique des pays du Sud de la Méditerranée doit se poursuivre au rythme qui est le sien, l’intégration économique doit être considérablement accélérée et l’Europe doit contribuer activement à cette évolution.

 

4.      Aucun dossier économique ne doit être exclu du cadre de l’ « association renforcée ». Un partenariat incomplet n’est pas un véritable partenariat. Il est certes des dossiers plus délicats que d’autres. Raison de plus pour les traiter le plus tôt possible, de manière réaliste, mesurée et progressive. Dans ce domaine, les trois dossiers que nous avons « ouverts » doivent être considérés comme prioritaires. Sur des dossiers aussi délicats, c’est moins la masse de capitaux mobilisés qui importe que, d’une part, la volonté politique d’avancer, d’autre part, la concertation regroupant l’ensemble des parties concernées, et enfin la programmation dans le temps des efforts et des concessions consentis par chacun des partenaires.

 

5.      Le renforcement du partenariat euro-méditerranéen passe nécessairement par l’institutionnalisation de ce partenariat. Le Président de la Commission a déclaré à Alger le 30 mars 2003 : « Notre objectif est de partager avec les pays méditerranées « tout sauf les institutions » ». Cette objectif est extrêmement ambitieux et nécessite pour être atteint la création… d’institutions spécifiques. La création d’une institution nouvelle ne peut être un but en soi et n’a de sens qu’à une double condition : qu’elle ne duplique pas des institutions existantes et que sa création constitue un « plus » opérationnel par rapport aux objectifs poursuivis. La priorité devrait aller à la création de trois instances nouvelles au profil et aux missions très différents : outre la Réunion Annuelle des Ministres des Finances et des Gouverneurs, la création d’un Forum Agricole Euro-méditerranéen et d’une Banque Euro-méditerranéenne semblent devoir - et pouvoir - être décidées dans les plus brefs délais, ces deux dernières instances se devant par ailleurs d’être dotées de moyens spécifiques. Ces nouvelles instances ne doivent être créées que si elles contribuent à décentraliser la concertation et l’action en matière de partenariat euro-méditerranéen, l’objectif n’étant pas d’empiler les bureaucraties mais, au contraire, de mieux coller à la réalité du terrain. Le processus diplomatique « 5+5 » qui a, dans le passé, connu bien des vicissitudes mais qui a été relancé à Tunis en Décembre 2004  pourrait, et à mes yeux devrait, servir de cadre au suivi de la mise en œuvre de telles réformes.

 

6.      Le partenariat euro-méditerranéen doit être un projet rassemblant l’ensemble des membres de l’UE. Il ne faut pas se voiler la face. Les pays européens sont économiquement et politiquement concernés à des degrés divers par le partenariat euro-méditerranéen. La Commission Européenne a donc le devoir de convaincre l’ensemble de ses membres de la nécessité et de l’urgence de ce projet. Pour rendre compatible l’impératif économique et les contraintes politiques (et ce dans les plus brefs délais, compte tenu de l’urgence), il est souhaitable d’encourager des configurations de réforme qui ne soient pas trop rigides et globalisantes. De ce point de vue, l’initiative «  5 + 5 », qui met en présence les pays du Sud de la Méditerranée avec les membres de l’Union les plus directement concernés par l’avenir de cette zone, doit être vivement encouragée, voire institutionnalisée. Il n’en reste pas moins vrai qu’un grand projet européen dont l’Allemagne ne serait pas porteuse perdrait de son efficacité. Compte tenu des efforts consentis par l’UE en faveur des pays de la zone économique de proximité de l’Allemagne et compte tenu du poids de ce pays dans les mécanismes communautaires, il semble indispensable d’impliquer celui-ci autant que faire se peut dans le devenir du partenariat euro-méditerranéen. Le concept de « 5 + 6 » n’aurait-il pas, de ce point de vue, une efficacité « renforcée »… ?


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2006 - L’entreprise dans le débat électoral



L’entreprise dans le débat électoral :
une inquiétante indifférence


Olivier Pastré

Professeur à l’Université

de Paris VIII




De Gaulle disait que « la politique ne se fait pas à la corbeille ». Aujourd’hui, il serait obligé de reconnaître que la Corbeille se défie et se déjoue de la politique et que, bien souvent, elle lui dicte sa loi. Est-ce pour cela que la campagne électorale qui s’ouvre accorde une place si marginale à ce qui, accessoirement, est supposé être la principale source de création de valeur et d’emploi ? Oh, certes, Nicolas Sarkozy vient bien clôturer l’Université d’Été du Medef en redéclarant sa flamme aux chefs d’entreprise. Oh, certes, le Parti Socialiste propose de renationaliser à 100% EDF et de porter le SMIC à 1 500 euros. Mais le moins que l’on puisse dire est que l’entreprise, que le reste de la planète considère comme le « cœur du réacteur » économique, semble n’intéresser aucun – je dis bien aucun – homme politique français.

Dès lors, l’exercice qui consiste à éclairer les débats politiques de l’année à venir se révèle à la fois très difficile et très facile. Très difficile parce que ceci permet de revenir aux fondamentaux et, ce faisant, de rappeler aux hommes politiques français ce qu’est la Droite et la Gauche.

 

Commençons donc par les fondamentaux auxquels aucun homme politique, quelque soit son parti ou son pays, ne peut échapper aujourd’hui en matière d’entreprise. Les fondamentaux économiques constituent autant de contraintes qui s’imposent de manière coercitive au politique. Et si, comme Olivier Besancenot ou Jean-Marie Le Pen, on en fait abstraction, on expose la France aux pires déconvenues et aux pires humiliations économiques, et donc politiques. Les fondamentaux majeurs en matière économique sont au nombre de trois, les trois étant, bien sûr, inter-reliés. Premièrement, la mondialisation, qui peut être mieux régulée – c’est une évidence – voire même, à la marge, ralentie si une volonté internationale s’exprimait dans ce sens (ce qui paraît peu vraisemblable à court terme), mais qui paraît, à ce stade, irréversible. Pour simplifier, le bilan de la mondialisation est « globalement positif » et « catégoriellement inique ». Ce qui appelle nécessairement l’intervention du politique. Deuxièmement, la financiarisation des stratégies d’entreprise, qui fait le bonheur des actionnaires et, via la croissance, indirectement celui de nombreux salariés. Troisièmement, phénomène plus subtil et plus durable, l’évasion d’un nombre croissant de normes et de règles du camp de concertation (c’est bien concertation qu’il faut lire…) nationale.

Ces trois fondamentaux marquent, et vont continuer à marquer, profondément les stratégies d’entreprise. Elles ont des conséquences dont il paraît inutile de contester l’existence. Ces conséquences sont au nombre de cinq au moins. La pression sur les salaires va continuer à rester très forte, en particulier dans les secteurs exposés dont la liste s’accroît en permanence. Les entreprises vont continuer à se racheter entre elles et à se concentrer : la vague de M&A (de plus en plus souvent transfrontières) se soulève à nouveau et prend de plus en plus la forme d’un tsunami. Les entreprises vont de plus en plus se recentrer sur leur métier. Les entreprises vont de plus en plus externaliser des fonctions qui ne relèvent pas de leur « cœur de métier ». Les entreprises vont de plus en plus se délocaliser, tout autant pour se rapprocher des marchés d’avenir que pour bénéficier de coûts de main d’œuvre attractifs. Voilà cinq tendances de fond dont les hommes politiques doivent tenir compte car elles sont, pour les chefs d’entreprise, aussi contraignantes que les élections pour nos édiles.

S’ajoute à cela un fait qui n’a aucune chance de pouvoir s’inviter dans les débats politiques (sauf peut-être à l’extrême droite) mais qui n’en est pas moins incontournable : la création d’emplois se fait, en France, non pas principalement dans les grandes entreprises, mais dans les PME. En disant cela, j’ai l’impression de faire presque une faute de goût par rapport à l’élévation des débats politiques qui nous attendent… Mais tant pis, je me lance…

 

Le cadre des contraintes étant ainsi fixé, reste à examiner les marges de manœuvre qui subsistent et, donc, les débats qui pourraient utilement s’engager. Contrairement à ce que véhicule une certaine vulgate médiatique, ces débats devraient être très nombreux. Car il existe bien une différence, n’en déplaise à certains, entre la Droite et la Gauche.

Commençons par un débat qui dépasse très largement le cadre de cet article, mais qui est trop fondamental pour ne pas être abordé, celui du partage salaire – profit. L’évolution de ce partage est, comme je l’ai dit, contrainte. Il n’est pas pour autant figé et, plus important encore, dans ce domaine comme dans bien d’autres, le problème est un problème au moins autant de forme que de fond. La Droite, détenant les clés du pouvoir aujourd’hui, n’a pas de raisons majeures de faire des propositions très innovantes sur ce thème. La Gauche, quant à elle, a de nombreux pièges à éviter. Elle est dans son rôle quand elle défend la thèse d’un rééquilibrage en faveur du salaire, après deux décennies durant lesquelles le profit a pesé d’un poids toujours plus lourd sur le partage de la valeur ajoutée. Mais les limites de l’exercice sont très vite atteintes. La Gauche aurait tort de défendre une augmentation massive du SMIC. Les 1 500 euros du programme socialiste (soit une augmentation de 23% en six ans) ne justifient en aucun cas les cris d’orfraie qui ont été poussés par certains, car la tendance naturelle à l’horizon de cinq ans pousse celui-ci, mécaniquement, à 1 400 euros. Il n’en reste pas moins vrai que cela serait de la folie de faire peser, sur l’entreprise seule, le poids d’une éventuelle relance du pouvoir d’achat. Rappelons en effet que la France se distingue des autres pays européens, moins par son coût moyen du travail, que par son coût moyen de travail non-qualifié. Ce coût est significativement supérieur en France, alors même que notre pays souffre d’un déficit marqué d’emplois de ce type. Corrélation n’est certes pas toujours causalité mais le lien entre ces deux « exceptions françaises » ne peut pas manquer d’être fait. Si une réforme se doit d’être examinée par la Gauche dans ce domaine, c’est bien celle de l’impôt négatif dont le pouvoir redistributif ne pèse en rien sur les marges des entreprises.

Au-delà de cette question fondamentale, reste de nombreux débats à mener dans le domaine salarial. La Gauche se doit de défendre l’épargne salariale qui, bien que d’origine gaullienne, colle parfaitement à l’objectif de participation plus directe des salariés aux « fruits de la croissance ». A cela s’ajoute que l’épargne salariale constitue un levier de « patriotisme économique » qu’aucun parti ne peut s’exonérer d’utiliser.

Plus délicat est le thème des « stock-options ». Les « stock-options » sont fondamentalement de Gauche puisque elles visaient, au départ, à permettre à des entrepreneurs impécunieux de ne pas être rabaissés au rang de simples salariés faute de moyens financiers. Les multiples dérives constatées au cours des dernières années ne devraient pas conduire à « jeter le bébé avec l’eau du bain ». Le débat devrait donc porter, non sur le principe, mais sur les modalités d’exercice de ces instruments d’épargne salariale.

Reste la question du salaire variable. Là aussi, en principe, la Gauche et la Droite devraient pouvoir se retrouver. Le salaire variable est comme le dieu grec Janus, doté d’une face grimaçante de précarité et d’une face souriante de participation financière aux gains de productivité. S’il y a aucune raison a priori pour la Gauche de ne pas aborder ce sujet dans le cadre du secteur public, il reste à trouver pour elle, dans le cas des entreprises privées, des pistes pour s’exonérer du pire pour ne garder que le meilleur.

 

Un deuxième débat va nécessairement porter sur les privatisations. La Droite se fait discrète sur ce thème mais a sûrement des idées en tête et il serait dommage qu’elle ne les exprime pas. La plupart des entreprises publiques ayant été privatisées, ses cibles visent probablement davantage les services collectifs (ANPE, hôpitaux, Université) mais le débat est, pour partie au moins, commun à celui qui touche les entreprises et mérite donc d’être mis sur la place publique. Quant à la Gauche, elle aurait tort de s’enfermer dans un discours néo-81 visant à un retour en force des nationalisations. Les débats sur Suez – GDF et sur EDF seront, à cet égard, éclairants. Ma conviction est que l’opération Suez – GDF ne constitue pas, en tant que telle, une privatisation. On peut même soutenir qu’elle s’apparente à un début de nationalisation du Suez, partenaire des services publics de l’eau. Et pourquoi pas ? La véritable « issue », au sens anglo-saxon du terme, sera, dans ce domaine, non pas la propriété du capital (dès lors qu’un noyau dur « patriotique » sera constitué) mais la gouvernance du nouvel ensemble. Quant à EDF, le coût d’une nationalisation à 100%  (12 milliards d’euros au moins), en cette période de disette budgétaire, l’emporte largement sur les avantages autres que symboliques de cette opération. Sur ce thème donc, le débat doit s’ouvrir mais le pragmatisme ne doit pas en être exclu. La Gauche devra alors se rappeler que Lionel Jospin, Premier Ministre, a initié de nombreuses privatisations (France Télécom, Air France, Crédit Lyonnais, Thalès, …) et que ce n’est pas pour cela qu’il a été battu en 2002…

 

Troisième thème, proche des précédents, celui du patriotisme économique. C’est, à mes yeux, un des plus importants pour l’avenir de la France. A un moment, charnière, où les opérations de concentration transfrontières se multiplient, la France paraît extrêmement démunie, avec un CAC 40 composé d’entreprises dont plus de la moitié du capital est aux mains d’actionnaires étrangers. « La patrie d’un cochon est partout où il y a du gland » écrivait Fénelon avec bon sens. Le devenir capitalistique de l’industrie française est donc, pour le moins, menacé.

Face à ce défi, la Droite a réagi au cas par cas sans beaucoup de succès. La défense d’Arcelor a été conduite de manière pitoyable : avec suffisamment de rodomontades pour agacer tous les investisseurs et insuffisamment de moyens financiers pour donner aux dirigeants d’Arcelor au moins les moyens d’échapper au sort des bourgeois de Calais. Espérons que, pour Euronext, la leçon aura été tirée et que l’on ne cédera pas aux sirènes de la Deutsche Börse, qui propose rien de moins que de téléporter à Francfort l’ensemble du dispositif aujourd’hui véritablement européen qu’a patiemment construit Jean-François Théodore. Pour la suite, la Droite risque de s’en tenir à son approche au coup par coup, parfaitement inefficace car dépourvue de moyens. La Gauche a donc un « coup à jouer » dans ce domaine. Pour structurer dans les secteurs considérés comme stratégiques (ce caractère qui est plus facile à invoquer qu’à définir…) une base actionnariale crédible. Les nationalisations n’ont aujourd’hui, dans la plupart des cas, aucun sens mais la « clusterisation » du capital de certain de nos « champions nationaux » constitue une impérieuse nécessité.

Si la Gauche a ainsi intérêt à défendre un « patriotisme économique efficace »[1], elle aurait tort de faire de la lutte contre les délocalisations un thème de sa campagne. D’abord parce que celles-ci, si elles pèsent d’un poids social écrasant pour ceux qui les subissent au niveau de leur entreprise (et, à ce niveau, de nombreuses améliorations sont possibles), elle pèse d’un poids marginal au niveau macroéconomique (à peine 3% des salariés). Ensuite, parce que les délocalisations constituent, pour de nombreux industriels, la condition sine qua non de leur survie et donc de leur capacité de conserver des emplois en France. La Gauche devrait faire des propositions pour limiter le coût social des délocalisations. Mais, à part gesticuler à Bruxelles sans aucun espoir de succès, comme l’a fait Jacques Chirac, de manière ridicule, quand Hewlett Packard a licencié en France, il n’y a rien d’autre à faire. C’est bien triste mais c’est comme ça.

 

Quatrième débat incontournable, celui de la gouvernance d’entreprise. Les dérives d’Enron, de Parmalat et des autres ont produit la loi Sarbanes-Oxley aux États-Unis et la Loi sur la Sécurité Financière en France. Deux planètes différentes : certes la loi Sarbanes-Oxley a dissuadé certaines entreprises de se coter à New York, mais le ménage a été fait et les entreprises américaines, protégées par de nouveaux « garde-fous » (dont il ne faut, certes, pas s’illusionner sur l’efficacité absolue), peuvent repartir à la conquête du monde. En France, le débat doit être relancé, le scandale Zacharias constituant le dernier exemple symbolique de certaines dérives managériales. La Droite a peu de chances de faire des propositions sur ce thème ; ce qui est bien dommage, car le libéralisme a besoin de règles pour fonctionner de manière efficiente. La Gauche risque, elle, de se focaliser sur le salaire des patrons alors que l’essentiel n’est pas là. L’essentiel est dans l’application des règles de gouvernance d’entreprise, dans la redéfinition du statut d’« administrateur indépendant » (retour au cas Vinci…), dans la régulation des plans de « stock-options » (les mêmes initiales que Sarbanes-Oxley… Tiens ! Tiens !), dans la résolution des conflits d’intérêt auxquels sont confrontés les commissaires aux comptes, les analystes financiers, les banquiers d’affaire. Bref, il y a du pain sur la planche…

 

Cinquième débat, à mes yeux essentiel, celui relatif au rôle des syndicats. La France a sacrifié ses corps intermédiaires, ce qui explique, pour partie au moins, la fracture sociale et la crise des banlieues. Le résultat au niveau de l’entreprise ? Le taux de syndicalisation le plus faible d’Europe (10% au total, ce qui veut dire 3% dans le secteur privé). Et donc des syndicats qui n’ont aucun motif véritable d’être responsables. Au-delà de la déclaration de quelques bonnes intentions sur la relance du dialogue social, la Droite a peu de chances à faire des propositions sur ce thème, oubliant une fois de plus que le libéralisme a, en permanence, besoin de contrepouvoirs. A la Gauche donc d’innover en ce sens, sans aller jusqu’à l’obligation d’adhésion. Mais pourquoi pas… C’est au travers d’une resyndicalisation responsable, condition pas suffisante mais nécessaire, que pourra être véritablement dynamisé le dialogue social en France.

 

Sixième et dernier débat qui, à mes yeux, devrait être relancé si l’on veut que les Français puissent choisir leur Président en toute connaissance de cause, celui du financement des entreprises. Les banques françaises, qui ont beaucoup souffert dans les années 1980 et au début des années 1990, sont redevenues aujourd’hui parfaitement compétitives sur le marché mondial. Mais elles ont opéré cette modernisation, avec l’appui de leurs autorités de tutelle, au prix d’une sélection de leur clientèle qui a multiplié la population des exclus bancaires. C’est vrai pour les ménages mais c’est vrai aussi pour les entreprises qui ne fournissent pas toutes les garanties de sécurité, c'est-à-dire les entreprises en création et les entreprises de technologie (a fortiori si celle-ci est immatérielle), c'est-à-dire les entreprises les plus susceptibles de créer des emplois à valeur ajoutée dans l’avenir. Je suis, sur ce dernier débat, crucial à mes yeux, extrêmement pessimiste. La Droite ne veut pas déplaire à « ses » banques et la Gauche n’a aucune empathie pour les patrons des PME. Résultat des courses ? Un débat qui risque d’être esquivé alors même qu’il en va de l’avenir industriel de notre pays.

 

Voilà six débats qui devraient avoir lieu entre la Gauche et la Droite dans les mois à venir. La première surprise – et la première désolation – est qu’il y a peu de chances que ces débats aient lieu. L’entreprise est absente de la pré-campagne et il y a peu de chances que les choses changent, sauf miracle. Considérant qu’il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre, il m’a paru indispensable et citoyen d’ouvrir ces débats. Trois remarques pour conclure :

-                    Il existe bien une différence entre la Droite et la Gauche sur le plan économique aussi. Aux hommes politiques de la faire redécouvrir aux français pour éviter que le prochain quinquennat s’ouvre, comme le précédent, sur une incompréhension porteuse de toutes les frustrations.

-                    La tâche de la Droite est plus difficile que celle de la Gauche sur le terrain de l’entreprise, peut-être plus encore que sur les autres. Expliquer que l’on va opérer une rupture, quand on a eu cinq ans de pouvoir pour le faire, est, en soi, un exercice délicat. Mais, en plus, expliquer que l’entreprise c’est bien, à certaines conditions, à des Français qui ont été élevés dans une culture d’anti-entrepreneurialisme primaire, c’est encore plus difficile.

-                    Pour arriver à faire de l’entreprise un des éléments de débats en vue de l’élection présidentielle, il faut et il suffit que la Droite et la Gauche retrouvent leurs racines. Que la Gauche se rappelle que, pour les « classes laborieuses », l’ennemi c’est le patron (et là il y a, malheureusement, compte tenu des dérives post-enroniennes, beaucoup de choses à faire) et non l’entreprise, créatrice d’emploi et de revenu. Et que la Droite se rappelle que les premiers libéraux appelaient de leurs vœux le marché et la liberté d’entreprendre mais pas à n’importe quel prix et pas sans règles de jeu minimales. Ubi societas, ubi jus. Vaste programme…

 

 



[1] O. Pastré: « La méthode Colbert : le patriotisme efficace », Perrin, 2006


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2006 - Les enjeux économiques et sociaux de l’industrie bancaire



Les enjeux économiques
et sociaux de l’industrie bancaire
[1]


Olivier Pastré

Professeur à l’Université

de Paris VIII




La banque n’est pas une industrie comme les autres. L’importance du cadre réglementaire, l’absence presque complète de brevets protégeant l’innovation, la multiplicité des produits joints, l’importance des effets externes sur le reste de l’économie interdisent tous, à des degrés divers, d’utiliser tels que les instruments traditionnels de l’analyse économique pour mettre en perspective la dynamique de cette industrie. Par ailleurs, la banque n’existe plus aujourd’hui au sens où on l’entendait il y a de cela à peine plus de dix ans. Les banques, et les banques françaises en particulier, se sont considérablement informatisées, diversifiées et internationalisées, donnant ainsi naissance à des entreprises qu’il faut, aujourd’hui, examiner avec un regard neuf.

 

 

I –        La banque, une industrie en permanente mutation

 

 

Les profondes mutations qu’ont connu les métiers bancaires sont probablement à l’origine de nombreux faux débats touchant à l’activité bancaire. Le meilleur moyen de limiter ces incompréhensions, voire ces qui pro quo, consiste en l’énoncé de chiffres incontestables qui permettent de mieux mesurer le rôle des banques comme acteur de premier plan de la croissance économique.

 

 

N’oublions pas ainsi que :

 

-         les trois premières banques françaises se classent parmi les 25 premières banques mondiales ;

 

-         les banques françaises (hors Banque Postale) représentaient fin 2003 419.000 emplois directs et 194 000 emplois indirects, soit 2,5 % de la population active, faisant de cette industrie le premier employeur privé ;

 

-         non seulement cette industrie ne s’est pas révélée être la « sidérurgie  de demain » comme le redoutait le rapport Nora-Minc en 1978, mais elle a réussi à créer des emplois en réorganisant sa pyramide des âges (la part des salariés de moins de 30 ans a augmenté de 6 points entre 2000 et 2003), en élevant son niveau de qualification (+ de 30 % des personnels recrutés le sont à « Bac+4 et plus »), ces résultats étant obtenus en assurant un effort de formation sans équivalent dans les autres industries (4 % de la masse salariale).

 

Ces efforts consentis ont permis aux banques françaises de jouer un rôle moteur dans le financement de l’économie et, donc, dans la croissance et la création d’emplois. Sans nier que des améliorations soient possibles dans ce domaine, force est de constater que le secteur bancaire reste l’acteur principal du financement de l’économie en France, soit par le biais des crédits, soit en tant qu’intermédiaire entre les agents non financiers et les marchés. Ceci concerne aussi bien les entreprises que les particuliers et participe de la spécificité du modèle financier d’Europe continentale.

 

Ce qui est moins souvent souligné est le caractère de plus en plus industriel et de plus en plus technologique de la plupart des métiers bancaires. Pour ne prendre qu’un exemple, la profession gère ainsi plus de 14 milliards d’opérations de paiement interbancaire par an. Ceci conduit les budgets technologiques des banques à représenter, depuis plus de 10 ans, près de 15 % de leurs frais généraux et ceci représente 20 % des dépenses de services informatiques réalisées en France, soit presque l’équivalent de l’industrie française dans son ensemble.

 

Les banques françaises s’impliquent donc massivement dans la création de valeur et dans la satisfaction des besoins de ses différentes clientèles. Les banques françaises sont, par ailleurs, financièrement solides et donc capables de faire face à d’éventuelles exigences, ce qui est relativement récent et constitue un bien public dont il convient de ne pas sous estimer l’importance.

 

Ceci posé, l’ampleur des défis que l’industrie bancaire française a à affronter à l’horizon d’une décennie sont tels que la poursuite des investissements et de la modernisation bancaire constitue à ce jour, plus que jamais,  une impérieuse nécessité.

 

 

II –       Les défis à relever

 

 

Dès lors que l’on s’interroge sur l’avenir du secteur bancaire, se font jour à la fois des certitudes et certaines interrogations.

 

 

A)        Au rang des certitudes, il convient de distinguer celles d’ordre stratégique et celles d’ordre plus opérationnel.

 

Les certitudes d’ordre stratégique sont au nombre de quatre :

 

1)                  La concurrence bancaire va s’intensifier et devra s’exercer de manière loyale.

 

La scène concurrentielle est désormais, pour la plupart des métiers bancaires, mondiale. Il est  ainsi parfaitement envisageable que la scène bancaire européenne soit ainsi, à l’horizon de dix ans, très profondément recomposée, avec l’émergence d’une petite dizaine de « leaders » de taille  mondiale  et la marginalisation des autres banques, devenant définitivement des banques « locales ». Sur la scène mondiale, de nombreuses industries bancaires se sont résolument mises en ordre de combat. Toutes les industries bancaires des pays développés (à l’exception peut-être de l’Allemagne et, à un moindre degré, de l’Italie et du Japon) se sont restructurées sur le plan national. Par rapport à ces concurrents, l’industrie bancaire française paraît bien armée, bien qu’elle paraisse en retard sur le plan de la taille par rapport aux « majors » bancaires américains et, au plan de la rentabilité, par rapport aux banques américaines, anglaises et espagnoles. Toute baisse de la rentabilité des banques françaises doit donc, pour l’avenir, être interprétée comme un facteur de fragilité concurrentielle.

 

Cette concurrence se jouera, pour les banques françaises, sur le  marché mondial mais se jouera aussi, en particulier pour les métiers de banque et de détail, sur le marché national. Dans ce domaine, il est impératif que les conditions d’une concurrence effective et loyale soient en permanence respectées.

 

2)         L’industrie bancaire est soumise à une refonte, sans précédent historique, de son cadre réglementaire.

 

Les négociations en cours sur le plan comptable (normes IAS) et sur le plan prudentiel (Bâle II) vont durablement affecter les conditions d’exercice de l’industrie bancaire. Ce nouveau cadre réglementaire, qui a donné lieu à d’intenses négociations, n’est pas, à ce stade, arrêté de manière définitive. Il convient de profiter des marges de libertés encore disponibles pour éviter que de telles réformes puissent impacter de manière défavorable les banques en général et les banques d’Europe continentale en particulier.

 

 

 

 

 

3)         La construction européenne ne constitue plus un défi, pour de nombreux métiers de même que pour de nombreuses réglementations. Elle constitue, dès aujourd’hui, une réalité et, à bien des égards, une chance pour les banques françaises.

 

 

 

L’écrasante majorité des règles de fonctionnement bancaire dépendent ainsi désormais d’un cadre européen. Ceci constitue un atout en termes d’harmonisation des pratiques mais constitue une sévère limitation quant à la possibilité de faire jouer, au plan de la réglementation nationale, la clause d’« exception culturelle ».

 

4)         A un niveau plus microéconomique, il n’existe pas de modèle bancaire unique de développement

 

Des banques aux profils organisationnels très différents continueront donc à coexister. Ceci est vrai aussi bien en matière de structure juridique qu’en matière d’articulation des différents métiers bancaires. Dans ce domaine, il convient de reconnaître la spécificité des différents métiers bancaires et la nécessité d’adapter les comportements de consommation comme la réglementation à chaque type de métier.

 

L’absence de modèle bancaire unique n’est pas contradictoire, bien au contraire, avec le maintien de particularismes bancaires nationaux. Il convient dans ce domaine, d’affirmer la relative spécificité de comportements des banques d’Europe continentale et de tenir compte de  ces spécificités, aussi bien dans le cadre du processus d’harmonisation bancaire européenne que dans celui des négociations et réformes à venir autour de l’IAS et de Bâle II.

 

Les certitudes d’ordre plus opérationnel sont au nombre de cinq :

 

1)            L’information concernant l’industrie bancaire se doit  impérativement d’être améliorée.

 

Ceci concerne au premier chef l’information permettant d’analyser au mieux la banque d’aujourd’hui. La banque a changé. Les instruments de son analyse doivent changer aussi. L’hétérogénéité croissante des métiers bancaires nécessite ainsi des analyses plus fines que les instruments disponibles aujourd’hui ne permettent qu’exceptionnellement. Cette amélioration de l’information concerne la production d’information mais aussi sa diffusion, une meilleure diffusion permettant d’assurer une meilleure analyse et, donc, une plus grande transparence. Mais l’harmonisation de l’information doit aussi contribuer à une amélioration de l’image de la banque. L’image des banques n’est, en France, pas bonne ou, en tout cas, n’est pas, sur bien des sujets, le reflet de la réalité. Ceci obscurcit et biaise de nombreux débats, dont certains présentent une importance stratégique. Des efforts doivent donc être faits dans ce domaine, tant par la profession que par les autres agents économiques concernés (politiques, médias…)

 

2)         Les risques bancaires, bien que mieux gérés et mieux contrôlés que par le passé, n’ont pas disparu.

 

Il convient tout d’abord de saluer les efforts qui ont été consentis, tant par les banques que par leurs autorités de tutelle, afin de mieux connaître et de mieux maîtriser les risques bancaires. Ceci posé, des risques existants ont pris une importance plus grande. Ainsi en est-il du risque opérationnel, en particulier à la suite des crises qui ont directement mis en cause la gouvernance d’entreprise (Enron, Parmalat…) de même que la responsabilité des concepteurs ou des commercialisateurs de produits financiers (Bénéfic,… ). De même de nouveaux risques sont apparus. Ainsi en est-il des risques informatiques auxquels les banques sont soumises plus que toute autre agent économique, dont l’ampleur va croissant et dont la maîtrise ne s’opère que de manière progressive. Enfin, la diffusion des risques bancaires au-delà du secteur (via notamment le développement exponentiel des dérivés de crédit) constitue un défi dont il apparaît au Groupe de travail qu’il serait hasardeux de le minimiser. Compte tenu des progrès réalisés dans le passé en matière de contrôle des risques bancaires, il n’y a pas lieu de céder, à ce stade, à un quelconque alarmisme. Un meilleur contrôle des risques passant par une meilleure connaissance de ceux-ci, l’amélioration de l’information ainsi qu’une vigilance soutenue se doivent d’être, dans ce domaine, recommandées.

 

3)         L’Europe des moyens de paiement constitue un enjeu majeur pour l’industrie bancaire française.

 

Aucun des métiers bancaires n’est condamné à terme ou, au contraire, destiné à dominer les autres. Tout au plus peut on considérer que la rentabilité actuelle de la banque de détail semble, à terme, menacée. Parmi les différents métiers bancaires, il en est toutefois apparu un qui occupait une place très importante dans l’équilibre d’exploitation des banques françaises et dont l’avenir paraissait, pour elles, particulièrement incertain. Il s’agit de la gestion des moyens de paiement qui représente, en moyenne, plus de 10 % du PNB des banques françaises. Sur ce marché, les banques  françaises ont, grâce à l’interbancarité, longtemps bénéficié d’une supériorité technologique et d’un avantage concurrentiel incontestables, offrant aux clients des banques françaises des conditions de sécurité et de confort d’utilisation presque inégalées. Les mutations, notamment réglementaires, en cours au niveau communautaire semblent toutefois susceptibles de remettre en cause, à très court terme, cet avantage comparatif. Les grands réseaux internationaux (Visa et Mastercard) de même que certains opérateurs non bancaires (opérateurs de télécoms notamment) étant susceptibles de menacer les positions acquises dans ce domaine, la définition d’une stratégie européenne clairement identifiée (comme dans le cas du STET) et la recherche d’une complémentarité entre le dispositif français et les systèmes internationaux paraissent indispensables. Dans ce cadre, se devront aussi d’être abordés le devenir des solutions de paiement nouvelles (telles que le Porte Monnaie Électronique ou les paiements sur mobiles) de même que certaines dispositions réglementaires (dont la loi bancaire de 1984).

 

4)                  Le financement de certaines catégories d’entreprises peut être et doit être amélioré.

 

Globalement, les relations « banques-entreprises » se sont significativement améliorées au cours des vingt dernières années. Les banques ont diversifié leur offre et ont formé leur personnel pour mieux répondre à une clientèle d’entreprise devenue plus exigeante. Cette amélioration globale ne doit pas masquer toutefois les difficultés que rencontrent certaines catégories d’entreprises pour obtenir un financement. La solution à ce problème passe par la poursuite de la formation du personnel bancaire (pas seulement commercial) mais aussi par l’aménagement du cadre réglementaire pour que les banques françaises ne soient pas dissuadées d’accompagner financièrement les catégories d’entreprises les plus risquées sur le plan bancaire. Il en va ainsi notamment  du taux de l’usure (loi du 2 août 2005) aussi bien que du droit des sûretés.

 

 

5)         Les relations des banques avec les consommateurs doivent être clarifiées et élargies

 

Dans ce domaine, la transparence constitue une priorité absolue. Les conseils à la clientèle doivent être donnés de manière plus professionnelle (dans le prolongement des recommandations du rapport Delmas-Marsalet) et les tarifs doivent être rendus toujours plus lisibles (le récapitulatif périodique des frais constituant, dans ce domaine, un objectif).

 

Dans un autre registre, le problème de l’exclusion bancaire se doit d’être abordé franchement. Ce problème ne se limite plus aujourd’hui, compte tenu de la crise économique, au seul problème de l’accessibilité des plus démunis aux services bancaires minima. La solution passe par une définition plus précise de ce que devrait être, non pas l’exclusion, mais l’inclusion bancaire (y compris en matière de crédit), par la reconnaissance du fait que les banques ne peuvent, à elles seules, prendre en charge la lutte contre l’exclusion sociale et par la définition de solutions pratiques en étroite concertation avec les associations de consommateurs. Dans ce domaine, le débat sur le fichier positif ne doit pas être considéré comme définitivement clos et se doit d’être réouvert si besoin s’en faisait sentir.

 

6)         L’amélioration des conditions de travail dans la banque doit être poursuivie

 

Il faut reconnaître que les banques françaises ont opéré leur modernisation sans « casse sociale » comme cela s’est produit dans d’autres industries et ont modernisé leurs politiques sociales sur bien des points. Cet effort doit être maintenu en donnant la priorité à la gestion prévisionnelle des effectifs (qui a trop tardé à être mise en œuvre), au développement des formations qualifiantes et non de simple adaptation ainsi qu’à une réflexion plus poussée sur l’employabilité des « seniors ».

 

 

B – Au rang, maintenant, des incertitudes figurent des défis que les banques françaises ont à relever et pour lesquels, des points de vue divergents quant aux solutions existent et méritent d’être examinés plus avant.

 

 

Ces incertitudes, relatives bien sûr, sont au nombre de quatre :

 

1)         L’endettement des ménages

 

Si les ménages français sont, comparativement à d’autres pays, relativement peu endettés et si l’on voit bien l’effet positif que pourrait jouer une hausse du taux d’endettement sur la consommation des ménages, l’inévitable montée du surendettement oblige à une extrême prudence dans ce domaine. Une amélioration des  dispositifs de prévention et de gestion du surendettement semble ainsi un préalable indispensable à toute encouragement donné par les Pouvoirs Publics en faveur de l’endettement des ménages français. Il convient par ailleurs de mieux mesurer les effets que pourrait avoir un développement rapide des crédits à taux variables, aussi bien sur l’équilibre de bilan des banques que sur l’évolution des revenus des ménages.

 

2)         Le devenir de l’épargne réglementée.

 

Ce sujet dépasse très largement le thème des travaux de notre Groupe. Certains membres du Groupe ont toutefois considéré que, de ce devenir, dépendaient, pour partie au moins, les conditions d’exercice de la concurrence sur le marché bancaire national. Dans ce domaine, le Groupe a tenu à souligner l’importance des contraintes qui pesaient sur le maintien, dans sa configuration actuelle, de ce type d’épargne dans le cadre d’une intégration bancaire européenne plus poussée. La solution passe par un élargissement progressif des zones de concurrence sur ce type de produit de même que par une diminution, progressive elle aussi, du poids relatif de ce type d’épargne, ce qui paraît plus facile à énoncer qu’à mettre en œuvre sans abandon des missions auxquelles la collecte de ce type d’épargne correspond.

 

3)         L’internationalisation de la production bancaire

 

Les banques françaises ont assez largement externalisé leur production (en matière de services informatiques notamment) mais l’ont très peu délocalisée. Les banques françaises paraissent, dans ce domaine, très en retrait par rapport à leurs concurrentes étrangères. Sur ce thème extrêmement sensible, il convient de reconnaître que l’avenir dépendra pour partie de l’intensité de la pression concurrentielle qui s’exercera sur l’industrie bancaire nationale. Il convient par ailleurs de noter que les mouvements de délocalisation de certains segments de l’activité bancaire se sont heurtés à des difficultés qu’il faut examiner en détail pour en tirer les enseignements. Il convient enfin de ne pas se masquer l’existence d’un tel problème et d’en examiner les solutions dans le cadre de la concertation la plus large possible.

 

4)                  L’harmonisation réglementaire européenne

 

 

La méthode pour parvenir à développer le marché européen des services bancaires fait débat : faut-il s’en remettre au seul droit du pays du prestataire de service (« droit du pays d’origine »), au risque de créer des distorsions de concurrence et de laisser au consommateur la charge de comparer des offres fondées sur des bases juridiques et pratiques différentes ? Faut-il au contraire rechercher une harmonisation totale des produits pour faciliter les comparaisons, au risque de négociations quasi impossibles à Bruxelles ? Peut-on trouver une voie médiane au travers d’une harmonisation portant sur les points essentiels ? Ces choix ne sont pas indifférents pour les banques françaises, qui sont bien placées pour se lancer dans la bataille européenne, mais peuvent être désavantagées par un droit national en moyenne plus protecteur des consommateurs que celui de leurs rivales, ce qui les handicaperait si le droit du pays d’origine devait s’imposer.

 

Autre enjeu européen fondamental : celui de la supervision, les grandes banques européennes ont toutes, aujourd'hui, une activité transfrontalière. Mais leurs superviseurs sont nationaux, ce qui se traduit à la fois par des lourdeurs administratives et par des divergences d'application des normes prudentielles qui peuvent avoir un impact non négligeable sur leur compétitivité, ou leurs choix de localisation d'activité.

 

 

Le débat sur la mise en place d'un "superviseur européen" est donc soulevé par certains, notamment dans la perspective de la mise en œuvre de Bâle II qui donnera davantage de poids encore aux choix des superviseurs.

 

Un superviseur européen unique relève aujourd'hui de l'utopie théorique : au-delà des quelques grandes banques trans-européennes, il demeure, et demeurera toujours de nombreux acteurs nationaux. Par ailleurs, tant que les marchés nationaux concerneront leurs spécificités, l'efficacité de la supervision plaide en faveur du maintien d'une approche décentralisée. A terme, la question d'une organisation de type "système européen de banques centrales", associant décentralisation et coordination, pourra se poser. Mais dans l'immédiat, l'enjeu essentiel est la transparence et la convergence des pratiques de supervision.

 

 

 

 

* * * * *

 

 

En guise de conclusion, qu’il nous suffise de faire deux remarques :

 

-         les banques sont d’abord et avant tout des entreprises potentiellement créatives de richesses et d’emplois ;

 

-         les banques françaises disposent d’atouts incontestables pour affronter la concurrence mondiale qui ne fera, à l’horizon de dix ans, que s’intensifier. Il convient, chaque fois que cela est possible, renforcer la capacité compétitive de notre industrie bancaire nationale. Ceci permettrait d’exiger de celle-ci qu’elle joue pleinement son rôle de poumon financier de la croissance, sans exclure personne de cette croissance. Il convient de donner ainsi aux banques françaises les moyens de leur indispensable citoyenneté.

 



[1] Cet article reprend les principales conclusions du rapport commandé par le Ministre de l’Economie, des Finances et du Budget au CCSF et qui lui a été remis le 6 mars 2006.


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