Skip to main content
| Articles 2005

Articles 2005

  • La Finance éthique
    Olivier PASTRÉ
    Préface au livre de Michel ROUX
    Editions Banque
  • L’avenir des relations euro-méditerranéennes : les défis d’une association renforcée
    Olivier PASTRÉ
    Contribution au Colloque « Les Nouvelles Frontières de l’Union Européenne »
    Marrakech, 16 Mars 2005
| Articles 2005

2005 - Le Patrie… autisme économique


Le Patrie… autisme économique

 

Olivier Pastré

Professeur à l’Université

de Paris VIII

 

 

La France se couvre, une fois de plus, de ridicule. Cet été, tous les politiques s’étaient « levés pour Danone », érigeant le « roi du yaourt » au même rang que les entreprises travaillant pour la Défense Nationale. Avec Hewlett Packard, le Président de la République a a offert à Manuel Baroso, le très libéral patron de la Commission, le plaisir de nous rappeler, avec un brin de condescendance mais une très grande justesse, que celle-ci ne peut rien faire pour empêcher une entreprise européenne de licencier. Preuve s’il en était besoin de la baisse du crédit politique de la France à Bruxelles.

 

Nous avions eu « la préférence européenne » lors du discours de politique générale du Premier Ministre. Nous avons maintenant le « patriotisme économique » déclaré par le Premier Ministre « plus moderne que l’idée pasteurisée du chef d’entreprise international ». On croit rêver… L’économie s’accommode mal de la poésie. Commençons donc par savoir de quoi on parle. Il existe trois formes de « patriotisme économique » possibles. Le social : c’est le cas Hewlett Packard mais c’est aussi la préférence nationale en matière d’emploi public (7 millions d’emplois en France sont ainsi sanctuarisés). L’industriel : c’est le cas Danone (ou, avant lui, Aventis) mais c’est aussi le cas de la directive anti-OPA, libéralisée quand la Gauche était au pouvoir et que la Droite s’efforce, aujourd’hui, de durcir. On croit, à nouveau, rêver… Enfin, le technologique : c’est le contrôle exercé sur la vente d’entreprises opérant dans huit secteurs jugés stratégiques, comme la défense ou les biotechnologies (et même, on ne voit pas très bien pourquoi, les… casinos)

 

Le « patriotisme économique » mal géré se révèle, au mieux, inefficace, ridicule et contre-productif. Inefficace car, Baroso vient de nous le rappeler, l’Europe ne peut plus rien contre les investissements étrangers. Ridicule ensuite parce que, au moment où l’on recherche à promouvoir l’« attractivité » de la France, les vertus du double langage paraissent bien difficiles à défendre. Ridicule alors même que la multinationalisation est encensée, dès lors que Pernod-Ricard achète Allied Domecq, que Suez prend le contrôle du belge Electrabel ou qu’Euronext part à la conquête de la Bourse de Londres ou de Francfort. Et ridicule si l’on se rappelle que, lorsque Renault a acheté Nissan, il a procédé à 21 000 licenciements. Contre-productif enfin, car, depuis Colbert, la France a payé fort cher, en mesures de rétorsion, son protectionnisme tatillon.

 

Ne soyons pas candide pour autant. Tous les pays riches sont aujourd’hui protectionnistes. Les États-Unis en premier, avec leurs quotas sidérurgiques et textiles aussi bien qu’avec leurs subventions agricoles et aéronautiques. De même l’Allemagne, avec sa loi qui protège Volkswagen et l’Italie, avec son Gouverneur de la Banque d’Italie, Antonio Fazio, qui a, au prix de son poste, défendu l’« italianité » de « ses » banques.

 

La solution dans ce domaine ne doit en aucun cas être cherchée dans les effets de manche. Mais, au contraire, de manière feutrée et sur le terrain. En matière sociale, en redéfinissant les mesures d’accompagnement social des délocalisations. En matière économique, en renforçant (au lieu de la vassaliser à la DATAR) la Mission Interministérielle sur les Mutations Économique et en encourageant les Français à investir en actions. Sur le plan technologique enfin, en « boostant » véritablement les dépenses de Recherche et Développement.

 

En matière de patriotisme économique, comptons moins sur les effets d’annonce que sur les annonces suivies d’effets. Et espérons, s’il faut à tout prix céder au lyrisme pour être entendu par le Premier Ministre, au moment même où l’on réfléchit à une nouvelle Marseillaise, qu’enfin un « sang, non pas impur mais productif, abreuve nos sillons »…

 

 

 


Haut de page

.

| Articles 2005

2005 - L’Europe bancaire : défis et interrogations



L’Europe bancaire : défis et interrogations


Olivier Pastré

Professeur à l’Université

de Paris VIII

      Depuis quelques mois, certains frémissements se font, sentir sur la scène bancaire européenne. On sent bien que le système bancaire anglais « tourne en rond », trop riche  pour ne rien faire et trop concentré déjà pour s’intégrer davantage au niveau national. De même voit-on bien que, malgré les tentatives désespérées du pouvoir politique régional hostile à toute réforme, l’Allemagne, avec 2300 banques, ne pourra pas continuer à vivre avec un système bancaire aussi éclaté et, pour partie de ce fait, aussi peu rentable. Même l’Italie secouée (plus que ne le disent certains) par le scandale Parmalat se remet depuis peu  à se poser des questions sur son système bancaire (comme celles touchant au statut des fondations) qu’elle évitait d’aborder frontalement jusqu’alors.

 

        Ne pas construire l’Europe bancaire revient  à livrer celle-ci  aux appétits d’autres puissances bancaires ayant les moyens de leurs ambitions. Rappelons ici que quatre des cinq plus grandes banques européennes ont aujourd’hui une capitalisation boursière qui n’excède pas trois ans de résultats de Citigroup… Or, aucune zone géographique ne peut se développer durablement et harmonieusement sans opérateurs bancaires locaux de premier plan. Ce qui est vrai partout et en tous temps prend une signification particulière en Europe continentale aujourd’hui, région du Monde où, malgré un mouvement de désintermédiation en œuvre depuis le début des années 80 (mouvement qui est d’ailleurs d’ampleur inégale selon les pays et dans lequel les banques sont très actives), le financement de l’économie reste majoritairement assuré par les banques. Dans ce contexte, ne pas disposer de véritables banques européennes mettrait, à terme, en péril le financement même de l’économie des 25 pays membres.

 

       

ILes causes de l’immobilisme passé

 

      Si l’on prend un peu de recul, on peut tirer cinq enseignements de l’analyse des opérations de croissance externe ayant affecté, au cours des cinq dernières années, les différents systèmes bancaires européens :

 

            1) Les restructurations bancaires ont, à ce jour, été principalement d’ordre défensif. Face aux opportunités mais aussi aux menaces que présentait le double mouvement de dérégulation/mondialisation, les banques européennes ont fait le choix de la consolidation sur leur marché national. L’écrasante majorité des opérations de M & A (plus des 4/5èmes  selon nos estimations) s’est ainsi faites à l’intérieur des frontières nationales.

 

         2) Cette consolidation sur le marché national peut être considérée comme largement entamée voir aboutie dans tous les pays européens,  à l’exception de l’Allemagne et, à un moindre degré, de l’Italie. Pour la plupart des pays européens, désormais situés dans la zone de risque anticoncurrentiel, l’avenir bancaire passe donc par l’internationalisation. Quant à l’Allemagne et à l’Italie, à la fois cibles pour des banques étrangères et terrains de consolidation nationale imparfaite, elles se désignent d’elles-mêmes comme champ privilégié des restructurations à venir.

 

         3) La stratégie d’internationalisation des banques européennes s’est, premier paradoxe, davantage orientée vers d’autres zones que celle de l’Union. Au-delà des opérations d’ "outsourcing " (qui contribuent, qu’on le veuille ou non, à déplacer le centre de gravité de l’industrie  bancaire mondiale), cette internationalisation s’est opérée soit en direction du premier marché bancaire mondial, i.e. les Etats-Unis, soit en direction de zones émergentes historiquement liées à certains pays européens (comme l’Amérique latine pour les banques espagnoles) ou jugées à fort potentiel (Asie du sud-est et, à un moindre degré, Europe de l’Est). De ce fait, il n’existe à ce jour aucune banque européenne qui puisse être considérée comme véritablement… européenne. Plus grave encore, à l’exception d’HSBC, il n’existe, en Europe, aucune banque qui, par son poids financier et boursier autant que par ses ambitions, fasse figure de « major » à l’échelle régionale. Le seul prétendant au début des années 90, à savoir la Deutsche Bank, semble à ce jour pénalisée, tant par ses difficultés internes que par l’insuffisante modernisation du système bancaire allemand et n’a été relayée par aucun autre « prétendant à la couronne », les banques mutualistes ayant fait preuve, dans ce domaine, d’une timidité toute particulière.

 

         4) La seule banque véritablement européenne est, paradoxalement, … américaine. Il s’agit de la Citigroup qui, d’une part, a une véritable « global strategy » et, d’autre part, s’appuie sur la diversité des métiers qu’elle exerce pour effectuer des « incursions  » dans de nombreux pays européens. Sans pour autant verser dans l’ « anti-américanisme primaire », force est de constater que la série de recompositions qui vient de s’opérer aux Etats Unis (autour de J.P. Morgan et de Bank of America et de Wachovia) de même que la stratégie « proactive » de General Electric Credit en Europe incitent à s’interroger sur la capacité de résistance des systèmes bancaires européens à une éventuelle offensive américaine dans ce secteur.

 

         5) Au-delà des différences culturelles nationales, les autorités européennes sont en large partie responsables de cette absence d’Europe bancaire. Le retard pris en matière d’harmonisation bancaire et financière aussi bien que l’absence d’instance européenne de régulation des systèmes bancaires (aussi bien que des marchés financiers) laissent les banques européennes face à un entrelac réglementaire qui freinerait toute ardeur européaniste. Pour faire simple, une banque qui souhaiterait être présente dans l’ensemble des pays européens serait, si elle n’utilise pas le « passeport européen », soumise à ce jour à une soixantaine de législations différentes… Cela est particulièrement vrai en matière de banque de détail, secteur dans lequel la dimension réglementaire pèse d’un poids plus lourd que dans tout autre métier bancaire.

 

 

 

IILes voies des recompositions à venir

 

         Pour résumer les tendances passées, on pourrait ainsi s’en tenir au diagnostic suivant : à l’exception des pays scandinaves, une consolidation bancaire presque exclusivement nationale et de timides incursions dans certains métiers et dans certains pays. Si l’on se tourne maintenant vers l’avenir, une vision globale nécessite que soient conjugués certaines interrogations et quelques certitudes.

 

 

         1) Au rang des interrogations, il ne semble exister aucun modèle archétypique de la banque du XXIème siècle. Si l’on reprend les catégories qui ont été ou qui sont à la mode, nous n’avons rencontré, en Europe ni pure « banque universelle », ni « banque éclatée », ni véritable « banque globale ». De même, les modèles de la « bancindustrie », de la « bancassurance » et de l’ « e-bank » ne semblent pas, à ce jour, avoir véritablement fait leurs preuves. Il reste donc à définir avec plus de précisions les limites des stratégies bancaires actuelles de même que les voies et les moyens de nouvelles avancées dans la construction de l’Europe bancaire.

 

         2) Deuxième série d’interrogations : celle des formes juridiques de la croissance bancaire. Les partenariats des années 90 semblent avoir fait long feu, à l’image des tentatives infructueuses de la BNP et de Dresdner Bank. La voie du M&A, au tournant des années 2000, ne semble pas, à ce jour, beaucoup plus convaincante. Quelle sera alors la « voie royale » (si « voie royale » il y a) de la construction bancaire européenne ? La réponse à cette question ne peut pas être « monocolore ». La question n’en mérite pas moins d’être posée. Et, dans ce domaine, l’importance du mutualisme en Europe (continentale au moins) interdit de ranger les partenariats (selon des formes à inventer peut-être) au rang des accessoires inutiles.   

 

         3) Troisième et dernière série d’interrogation : à quoi doit servir le maintien du contrôle capitalistique, par l’Europe, de son secteur bancaire ? Ceci n’a de sens que si ceci permet de mieux financer l’économie européenne. Mieux financer, cela veut dire financer à moindre coût pour les clients et pour un nombre de clients bancarisés en croissance régulière, sans que des mécanismes d’exclusion (que l’on sent poindre à ce jour) se mettent en œuvre, pour des motifs réglementaires ou autres.

 

Si l’on en vient maintenant aux certitudes, celles ci sont au nombre de quatre :        

          1) Au-delà des stratégies individuelles, qui désignent une dizaine de prédateurs potentiels et à peu près autant de cibles, les pays dont les industries bancaires semblent les mieux à même de tirer profit de l’intégration bancaire européenne sont, dans deux genres très différents, la France et le Royaume-Uni et les pays les plus sujets à incursions étrangères sont l’Allemagne et l’Italie. D’où le protectionnisme (déguisé au moins) de ces deux derniers pays.

Toutefois, compte tenu du contexte macroéconomique, à court terme, les principales opérations devraient principalement  concerner soit des banques de taille moyenne ou petites (en Allemagne notamment) soit des opérations ciblées sur un métier particulier (en matière de gestion d’actifs notamment).

 

          2)  Une incertitude majeure tient au devenir du secteur mutualiste. Contrairement à ce que certains prédisaient, le mutualisme bancaire n’est pas en repli en Europe, bien au contraire. Les banques mutualistes peuvent ainsi à la fois figurer parmi les prédateurs potentiels (via, pour certaines, leurs « véhicules cotés ») et parmi les cibles (en Italie notamment). Leur avenir dépend donc d’elles-mêmes et de la claire identification (qui n’est pas réalisée à ce jour) de ce qu’est véritablement le mutualisme. 

 

          3) Il est clair que, dans deux registres différents et néanmoins inter reliés, les dossiers IAS et Bâle II auront des implications majeures sur le devenir des restructurations bancaires européennes. Tant par la solidification ou, au contraire, la fragilisation des socles bancaires nationaux construits au cours des années 80 et 90 que par l’impact que ces nouvelles « règles du jeu » bancaires (dont il est urgent de mesurer pleinement la portée spécifique et quasi-vitale pour les banques européennes) auront sur les stratégies individuelles. Dans ces deux négociations, la sonnette d’alarme se devait d’être tirée. Tout laisse, en effet, à penser que les mécanismes en œuvre dans le cadre de l’IAS et du Comité de Bâle ne tiennent pas suffisamment compte des spécificités bancaires européennes. Pour ne prendre que le cas de l’IAS, certaines normes en cours d’adoption (IAS 32 et IAS 39, le lecteur l’aura deviné…) sont clairement inadaptées à des pays qui restent des pays d’intermédiation bancaire et à des banques qui ont, dans le passé, privilégié les crédits à taux fixe. Tout, par ailleurs, laisse  à penser que tout n’est pas à ce jour figé et qu’il reste encore des marges de manœuvre (que serait l’IAS sans l’Europe ?) qu’il faut à tout prix exploiter dans les mois qui viennent.

 

          4)  Une « accélération de l’histoire » doit être opérée en matière de réglementation bancaire européenne. Cela concerne, en premier lieu, le processus d’harmonisation et en particulier le processus Lamfalussy qui doit être accéléré de manière significative, via notamment la mise en place d’un calendrier plus contraignant. Mais cela concerne aussi les réglementations nationales dont le caractère protectionniste doit être assoupli. Ce n’est pas en défendant leurs spécificités réglementaires, hors du temps pour certaines d’entre elles, que les systèmes bancaires allemands et italiens renforceront leur compétitivité. Il n’est pas question d’envisager ici qu’un souffle libéral trop puissant balaye irrémédiablement des structures bancaires qui ont rendu (et rendent encore) des services éminents (notamment en matière de financement des PME). Il s’agit simplement d’accélérer le pas des réformes. Car le temps presse…


Haut de page

.