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| Articles 2007

2007 - La bagarre bancaire européenne



La bagarre bancaire européenne


Olivier Pastré

Professeur à l’Université

de Paris VIII




Le monde de la banque est, définitivement, fascinant. Souvent moutonnier dans son comportement, il est presque toujours, dans ses discours, peuplé de « non-dits ». Jusqu’au début de cette année, dire que la « Très Grande Bagarre bancaire Européenne »[1] allait commencer était considéré, au mieux, comme une vue de l’esprit, mais, plus souvent, comme la preuve d’une totale méconnaissance de l’Europe bancaire. Trop de disparités réglementaires disait-on, pas assez d’économies d’échelle, un trop grand risque, dans de nombreux pays, de dilution du ROE : trop de handicaps donc, alors même que la croissance sur le marché national ou sur les activités de marché offraient des perspectives de rentabilité à nulle autre pareilles. Conclusion presque unanime de la communauté bancaire : « Circulez, il n’y a rien à voir »…

 

Et puis il y a eu l’opération Santander – Abbey, puis Unicredito – HVB, puis ABN Amro – Antonveneta, puis BNP Paribas-BNL, puis Crédit Agricole-Emporiki, sans même citer les fusions avortées du type Dexia – SPIMI ou BBVA – BNL. On ne peut donc plus dire aujourd’hui qu’il n’y a rien à voir…Ma conviction est que, dans les cinq années à venir, le paysage bancaire européen va être complètement bouleversé. En 2010, l’Europe sera dominée par une dizaine de grands groupes bancaires dont aucun, HSBC mis à part, n’existe aujourd’hui, ce « noyau dur » étant entouré d’une myriade de banques, moyennes ou petites, qui ne survivront qu’au prix d’une spécialisation poussée au plan géographique ou fonctionnel. Trois raisons majeures justifient la vraisemblance d’un tel scénario :

 

1)                          Les freins à l’européanisation bancaire sont moins déterminants que ne le disent (le pensent-ils encore aujourd’hui ?) de nombreux patrons de banque et, surtout, vont se relâcher au fil de la mise en œuvre du nouveau Plan d’Action des Services Financiers concocté à Bruxelles (PASF au tempo, certes, piano mais à l’incrémentation irréversible). Par ailleurs, si les économies d’échelle à réaliser ne sont toujours pas évidentes, les synergies existent (notamment pour toutes les fonctions administratives) et les économies de gamme sont patentes (comme l’ont déjà démontré, entre autres, les leaders français du crédit à la consommation).

 

2)                          Sur les 30 premières banques européennes qui ne sont pas mutualistes (qualificatif qui a toute son importance), 29 ont à ce jour une taille sous-optimale pour prétendre jouer (en dehors de certains créneaux) un rôle significatif à l’échelle mondiale, qui est aujourd’hui la seule véritable échelle de référence pour de nombreux métiers bancaires. Certaines de ces 29 banques ont plutôt le profil de futurs prédateurs (les majors anglais et espagnols plus, peut-être, BNP Paribas, ABN Amro et quelques autres) et d’autres plutôt celui de cibles (les italiennes - n’en déplaise à Antonio Fazio, l’ancien Gouverneur de la Banque d’Italie - mais aussi certaines anglaises, espagnoles, allemandes et … françaises). Ceci posé, à ce jour, rien n’est joué et certains prédateurs pourraient très bien devenir très vite des cibles (l’inverse étant vrai, bien qu’à un moindre degré).

 

3)                          Arrêtons de nous voiler la face. L’industrie bancaire américaine a, en dix ans, fait son aggiornamento. Libérée d’une réglementation tatillonne héritée de la crise de 1929 (Glass Steagall Act et McFadden Act), elle est désormais structurée autour d’un oligopole de sept « majors », oligopole qui : 1) ne peut plus se développer au plan national, loi anti-trust oblige ; 2) n’arrive pas, aussi vite qu’il le souhaiterait, à s’implanter en Chine et en Inde et 3) pour qui la capitalisation boursière de 29 des 30 premières banques européennes représenterait à peine quelques trimestres de profits. Cela, sans même parler de l’industrie bancaire japonaise qui, lentement, sort d’une décennie de crise et qui, avec la fusion de MTFG et UFJ, occupe à nouveau (en termes d’actifs) la position de N°1 mondial.

 

Telle est la situation. Pas inquiétante, mais dramatique au sens originel du terme grec. Il appartient aux banques françaises qui en ont l’ambition de saisir leur chance. Et certaines d’entre elles en ont parfaitement les moyens.

 

Par ailleurs aux gouvernements, de prendre conscience que, au travers de cette restructuration, c’est l’avenir même du financement de l’industrie européenne qui se joue (et notamment celui des PME, véritable trame du tissu industriel européen). Alors même que, du fait des nouvelles normes IAS et de Bâle II, l’avenir de ce financement est remis en cause. Il serait donc temps d’agir.

 



[1] Esther Jeffers et Olivier Pastré, « La TGBE », Économica, 2005


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