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| Articles 2006

2006 - L’avenir des relations euro-méditerrannéennes



L’avenir des relations euro-méditerrannéennes :
les défis d’une « association renforcée ».


Olivier Pastré

Professeur à l’Université

de Paris VIII




Alors que l’Europe continue à s’élargir vers l’Est, il est plus que jamais temps de s’interroger sur l’avenir des relations euro-méditerranéennes. Deux facteurs militent en faveur d’une telle réflexion. En premier lieu, le processus de Barcelone trouve aujourd’hui ses limites historiques. Ce processus (naturellement lent car à vocation consensuelle) a eu le mérite d’ouvrir un dialogue et de, progressivement, développer des contacts entre les deux rives de la Méditerranée. Son rythme, de même que son intensité coercitive, ne sont toutefois plus adaptés à un environnement géostratégique marqué par le 11 Septembre et, à l’échelle européenne, par l’élargissement. Il faut donc remettre à plat l’ensemble du dispositif pour lui permettre de retrouver un nouveau « souffle » au terme de dix années de « bons et loyaux services ».

 

Cette exigence est renforcée par un second facteur lié à la dynamique (si tant est que l’on puisse employer ce terme…) européenne. Ne nous voilons pas la face : l’Europe sera, au cours des cinq prochaines années totalement mobilisée par deux défis  qu’elle s’est, elle-même, lancée : l’élargissement bien sûr mais aussi la refonte (quel que soit l’alliage issu de cette fusion…) de ses institutions. Dans ce contexte, si une nouvelle ambition euro-méditerranéenne n’est pas forgée ex-ante, il est fort à craindre que, ex-post, les bonnes volontés qui existent aujourd’hui ne soient inexorablement diluées  dans l’océan de l’indifférence communautaire…

 

Pour forger cette ambition nouvelle, il est trois dossiers qui me semble jouer un rôle plus important que d’autres. Ce sont des dossiers de l’agriculture (§I), de la démographie (§II) et de la finance (§III). C’est l’objet de cet article que de définir les contours d’une solution globale à ces trois problèmes majeurs. Ceci nous amènera à laisser dans l’ombre, au moins provisoirement, certains aspects de la coopération euro-méditérranéenne (comme le dossier de l’énergie ou celui de la formation) qui nous semblent relever d’un optimum de second rang, certes nécessaire mais, à ce stade, non suffisant. Ceci nous amènera par contre à esquisser les bases de ce que pourrait être une « association renforcée », fondation indispensable au renouveau de la Coopération euro-méditerranéenne (§IV).

 

 

I – LE DÉFI AGRICOLE

 

Ah ! que ce dossier est difficile. Il touche à de si nombreux intérêts. Il cristallise tant de passions. Il a une histoire si complexe et si chargée affectivement. Pour ne pas reproduire les erreurs du passé dans ce domaine, il faut revenir à l’essentiel. Il faut réaffirmer et assumer le rôle central de l’agriculture pour les pays des deux rives de la Méditerranée. Ce rôle va bien au-delà des chiffres, déjà éloquents, du secteur agricole lui-même : les pays méditerranéens restent des pays enracinés dans leur secteur primaire.

 

 Mais l’agriculture a aussi, dans ces pays, un rôle directement macroéconomique. Dans des pays comme l’Egypte ou le Maroc, où les produits agricoles représentent, en moyenne, près de 45 % de la consommation des ménages (et bien plus pour les catégories sociales les moins favorisées), il n’est pas étonnant que le moindre écart de production et donc de prix aient des conséquences macro-économiques majeures en termes d’inflation, de recettes budgétaires, de consommation et d’investissement. La politique économique des pays méditerranéens ne peut, ainsi, en aucun cas, faire fi du climat et de l’évolution des marchés mondiaux de produits agricoles. Ceci est d’autant plus important qu’un input fondamental en agriculture, à savoir l’eau, fait globalement défaut à cette région. Pour ne prendre qu’un exemple, la rive sud de la Méditerranée, avec 5 % de la population mondiale, ne dispose que de 1 % des ressources mondiales en eau. Cette inégalité originelle est accentuée par une gestion de cette ressource rare qui dans, bien des cas, se révèle désastreuse. Avec des écarts de 1 à 5 en matière de productivité, selon les modes d’irrigation mis en œuvre, on comprend bien que l’équation de l’eau se révèle aujourd’hui, presque impossible à résoudre dans cette région.

 

Mais chacun sait que l’agriculture a un impact qui dépasse très largement le seul champ de l’économique. L’agriculture méditerranéenne est, plus que dans d’autres régions du monde (y compris dans bon nombre de pays émergents), vecteur de cohésion sociale et donc politique. Ceci explique la prudence et le doigté avec lesquelles la modernisation de ce secteur doit être gérée. Et ce qui est particulièrement vrai pour les pays du Sud de la Méditerranée l’est aussi pour les pays de la rive Nord. Les pays du Sud de l’Europe sont, de fait, les plus directement concernés par l’avenir de l’agriculture méditerranéenne. Ces pays sont à la fois les plus touchés (plus de 6 % des actifs employés dans  l’agriculture en Italie, 7,6 % en Espagne et 13,4 % au Portugal contre moins de 5 % en moyenne dans l’Union) et les plus menacés (car les plus directement concurrencés et bénéficiant le moins, au niveau du pourtour méditerranéen, des aides communautaires).

 

La définition de  l’avenir de l’agriculture méditerranéenne, pour que ce processus soit « gagnant-gagnant », n’est possible que si quatre conditions sont respectées :

 

1)     Il faut que les antagonismes entre les intérêts des agricultures des deux rives de la Méditerranée soient reconnus mais ne soient pas surestimés. Des antagonismes existent certes. C’est la conséquence directe de l’identité méditerranéenne. Mais trois facteurs jouent qui en relativisent le caractère irréductible :

 

-         Les véritables problèmes sont ceux des débouchés extérieurs à l’Europe et de l’évolution de la demande de produits agricoles. Sur le premier point, il est clair qu’un accroissement de la demande de produits agricoles « méditerranéens » joue déjà si l’on s’y employait (et pourrait jouer encore plus demain, compte tenu des évolutions  démographiques et de leurs effets en matière d’alimentation) comme un facteur d’apaisement des tensions entre producteurs des deux rives Méditerranée. Sur le second point, l’augmentation rapide de la demande de qualité et de services en matière de production agricole rendra les problèmes de concurrence totalement virtuels si l’ensemble des agricultures méditerranéennes ne se modernise pas en priorité, dans le sens de la qualité prise au sens large.

 

-         Compte tenu de ce qui précède, de nombreux facteurs d’antagonismes verront leur poids relatif diminuer, du fait de la progressivité des évolutions en matière agricole et du fait des délais d’adaptation que cette progressivité offre.

 

-         Enfin de nombreux débats actuels font abstraction des conséquences que pourrait avoir une meilleure concertation entre les deux rives de la Méditerranée sur les questions agricoles. En agriculture moins qu’ailleurs, le raisonnement « toutes choses étant égales par ailleurs » n’a pas sa place, les efforts consentis en matière de gestion de l’eau offrant une parfaite illustration de ce point essentiel.

 

 

Des antagonismes existent donc mais ils nous paraissent, ainsi qu’à la plupart des spécialistes des questions agricoles, parfaitement gérables si la volonté politique existe.

 

2)     Il faut que toute politique dans ce domaine soit marquée du sceau de la gradualité. N’oublions jamais que les problèmes agricoles méditerranéens sont protéiformes, particulièrement complexes et surtout ne relèvent pas que de la seule logique économique. Les tenants du libre échange pur et dur rendent un bien mauvais service aux agriculteurs méditerranéens, dont ils prétendent défendre les intérêts, en exigeant tout, tout de suite. Une libéralisation brutale aurait des effets dévastateurs au Sud en faisant « imploser » certaines cultures  (comme, par exemple, les céréales) et surtout certaines régions. Mais ces effets seraient aussi dévastateurs dans certaines régions du Sud de l’Europe. Une nouvelle politique agricole méditerranéenne se doit donc d’être ambitieuse, mais aussi sélective et graduelle.

 

3)     Il faut que l’urgence de mise en œuvre des réformes soit clairement affichée. Le risque pour les économies méditerranéennes, que présente, à long terme, le réchauffement de la planète est bien réel. Mais là, plus que sur aucun autre problème économique  contemporain, il convient de rappeler que « à long terme (et même à moyen terme) nous serons tous morts ». L’urgence est, en effet, extrême. Elle l’est pour trois raisons au moins :

 

-         Parce que, même en tenant compte de l’échec de certaines négociations récentes de l’OMC, le multilatéralisme agricole progresse, qui rend tout débat sur les préférences régionales chaque jour plus vain ;

 

-         Parce que les avantages comparatifs des pays du Sud de la Méditerranée en matière agricole, d’année en année, s’érodent, plus rapidement peut être que dans tous les autres secteurs d’activité économique ;

 

-         Parce que, enfin, l’élargissement de l’Union, même si l’on n’en mesure pas toutes les difficultés, constitue un défi à très court terme qu’il ne sera possible de relever que si l’on s’en donne les moyens. Rappelons à ceux qui l’auraient oublié que la Pologne et la Hongrie exportaient en 1999 plus de fruits que le Portugal et la Grèce réunis …

 

 

Pour toutes ces raisons, il est urgent d’agir.

 

4)     Il faut qu’une nouvelle « politique de coopération agricole euro- méditérannéenne » soit rapidement lancée. L’Europe a, au cours de l’été 2003, fait un grand pas en avant en matière de PAC. Le principe du découplage des aides a été adopté, qui bouleverse très profondément les règles du jeu actuelles et qui aura donc, à terme, des effets majeurs en terme de comportements des agriculteurs européens, y compris pour ce qui concerne les nouveaux entrants. A moyen terme, il est clair que les subventions agricoles, européennes autant qu’américaines, devront être diminuées puis supprimées. On ne peut, en effet, s’enorgueillir de consacrer chaque année 50 milliards de $ à l’Aide Publique au Développement quand, d’un autre côté, on pénalise, chaque année, les agriculteurs du Sud à concurrence de 250 milliards de $, au travers de subventions diverses et variées en faveur des agriculteurs du Nord. Mais, à court terme, le problème n’est pas là, ou au moins pas seulement. Le problème à court terme est d’agir au plus vite pour relancer le coopération agricole euro-méditerranéenne. Et cela peut se faire, à mes yeux, à trois niveaux :

 

 

1)     Par un effort conjoint pour améliorer la qualité des productions agricoles méditerranéennes. Dans ce domaine, les intérêts entre les deux rives de la Méditerranée sont communs et des moyens doivent donc être dégagés de manière coordonnée pour faire face à ce défi. Un effort tout particulier devra être consenti dans trois domaines prioritaires :

 

-         La gestion de l’eau bien sûr. L’Europe a déjà fait des efforts significatifs dans ce domaine en direction des pays du Sud de la Méditerranée. Un simple doublement de ces efforts ne paraît toutefois pas ingérable sur le plan budgétaire et présente des avantages incontestables à court, moyen et long terme,

 

-         La gestion des hommes aussi. Une intensification des efforts d’assistance et de formation (initiale aussi bien que professionnelle) constitue une clé du succès en matière agricole. Plus d’assistance technique mais aussi plus d’échange de personnels et d’expérience entre les deux rives de la Méditerranée semblent, dans ce domaine, un objectif à la fois réaliste et incontournable

 

-         Une intégration Sud-Sud. Des échanges plus importants mais aussi une meilleure concertation, gage d’une meilleure programmation des investissements, entre pays du Sud  de la Méditerranée semblent devoir être encouragés par l’Europe.

 

 

 

2)      Par la création d’un Forum Agricole Euro-méditerranéen. Des contacts existent déjà au niveau bilatéral qui ont porté leurs fruits. Il convient d’institutionnaliser cette initiative et de lui donner un caractère pérenne. Ce n’est qu’au travers du dialogue permanent que les points de vue pourront être confrontés, que les malentendus pourront être dissipés et que les difficultés pourront ainsi être progressivement aplanies. Ce Forum doit être le cadre de discussions multilatérales qui n’ont que trop tardées. Mais ce Forum doit être aussi la matrice d’une véritable Organisation  Méditerranéenne des Marchés Agricoles qui fait, à ce jour, tant défaut. C’est dans le cadre de ce Forum que, sans pour autant être décidé, pourra, par ailleurs, être discutée et programmée une diminution progressive des subventions agricoles communautaires.

  

3)     Par une coopération renforcée en matière de négociations internationales. Les agriculteurs des deux rives de la Méditerranée ont des intérêts communs dans de nombreux domaines. Par ailleurs, l’Europe, en réformant sa PAC, s’est mise, pour partie au moins, en conformité avec l’OMC. De nombreuses négociations agricoles multilatérales sont en cours. Il est urgent que, sur certains points au moins, l’Europe et le Sud de la Méditerranée fassent  «front commun». La Conférence de Cancun, malgré son échec, a eu au  moins un mérite : celui de démontrer l’existence de coopérations transversales réunissant des pays qui, jusque là, défendaient leurs intérêts commerciaux de manière strictement individuelle. Ces nouvelles coopérations sont, certes, par nature, fragiles. Elles constituent, toutefois, une piste à creuser en priorité pour les pays de la Méditerranée, unis par une Histoire commune. Un  Forum Agricole Euro-méditerranéen digne de ce nom pourrait servir de creuset à une telle coopération « renforcée »…

 

 

II – LE DÉFI DES MIGRATIONS

 

L’Europe vieillit inexorablement et, ce faisant, s’appauvrit :

 

1)       Les femmes européennes ne font, en moyenne, au cours de leur vie, que 1,4 enfants alors qu’il en faudrait 2,1 au moins (chiffre que dépasse les Etats-Unis) pour renouveler la population (rare domaine dans lequel la France est, avec l’Irlande, en avance sur le reste de l’Europe).

 

2)       L’âge médian de la population des Quinze, qui est, aujourd’hui de 38,5 ans, sera en 2050 de 48,5 ans (l’Europe du Sud tirant vers la sénilité l’Europe du Nord).

 

3)       Même avec un taux de 2,1 enfants par femme et un doublement du flux d’immigration, l’Europe n’assurerait en 2050 qu’un ratio de 2,5 jeunes pour un vieux contre 4 pour un aujourd’hui, d’où une accentuation inéluctable des problèmes concernant, entre autres, le financement des retraites.

 

On ne peut tout attendre dans ce domaine de l’élargissement de l’Union. La plupart des études convergent, en effet, vers un potentiel migratoire de 3 à 5 millions d’individus sur une période de 30 ans (dont les 3/4 en direction de l’Allemagne et de l’Autriche). Mais cet apport de capital humain ne se fera pas de manière aussi simple et surtout aussi rapide que certains le prévoient. D’abord la chute de la natalité dans les pays candidats, de même que le phénomène de rattrapage économique constitueront autant de freins au déplacement des populations. Mais surtout le cadre du Traité d’adhésion définit une période de transition de 5 à 7 ans qui ralentira considérablement ce mécanisme de « vases communicants ». Dès lors, on ne peut, à court terme au moins, compter que sur nous même. Il faut donc encourager de manière sélective l’immigration en Europe.

 

Sur l’autre rive de la Méditerranée, le problème est au moins aussi grave mais pour des raisons différentes. Le problème est ici celui de l’arrivée sur le marché du travail d’une population jeune et formée, en quantité sans commune mesure avec les flux passés. La dernier rapport de la Banque Mondiale sur la zone MENA (Middle East North Africa) tire la sonnette d’alarme dans ce domaine : au cours de la période 2000-2010, le nombre d’entrants dans la population active sera en moyenne de 4,2 millions par an, soit le double des nouveaux entrants des décennies précédentes. Il faut donc de la croissance pour absorber cette nouvelle main d’œuvre : 40 millions d’emplois seront ainsi à créer dans ces pays au cours des 15 prochaines années afin de maintenir le taux de chômage à son niveau actuel, considéré comme déjà trop élevé. Mais ce problème est rendu encore plus complexe par le fait que, ces pays ayant consenti un important effort éducatif, le niveau de qualification, et donc les attentes, de cette population sont significativement plus élevés que par le passé.

 

Il est clair qu’un accroissement des flux migratoires entre les deux rives de la Méditerranée ne va pas sans poser de problèmes, sociologiques et politiques autant qu’économiques. Mais l’exemple des Etats-Unis est là pour nous montrer qu’il est parfaitement possible de gérer ces problèmes. Avec 56 millions d’immigrés et d’enfants d’immigrés, soit un cinquième de la population américaine, les Etats-Unis ont, à un coût social qui paraît à ce jour acceptable, un taux d’immigration deux fois supérieur au nôtre (6,6 % contre 3,5 % en Europe). L’Europe a donc encore de la marge.

 

 Il est à noter ici que l’écart avec les Etats Unis ne va aller qu’en se creusant. D’ici à 2050, la population des Etats-Unis va augmenter de 52 millions de citoyens (pour atteindre 336 millions) alors que l’Europe des 15 ne comptera que 4 millions d’habitants en plus (soit 380 millions au total). Rien d’étonnant à ce que le fossé en matière de compétitivité économique se creuse : de plus en plus de vieux européens seront là pour financer les études supérieures de plus en plus de jeunes américains (qui constitueront 24% de la population américaine  en 2050 contre 22% aujourd’hui, alors qu’en Europe ce ratio passera, sur la même période de 18% à….12%) !

 

Pour faire face à ce double défi, il faut réagir vite, sans sous-estimer la complexité des problèmes posés. Une politique européenne d’immigration raisonnée et raisonnable devrait commencer par être véritablement… européenne, et ce dans les trois volets qui structurent toute politique d’immigration (i.e, le statut des réfugiés, la politique d’asile et la politique de visas). En dehors de ce schéma d’harmonisation, point de salut. Toute politique souverainiste dans ce domaine doit être condamnée. Elle ne peut viser qu’à jouer au « mistigri » avec les cartes les plus précieuses qui soient, à savoir les êtres humains.

 

 Une véritable politique européenne d’immigration doit, par ailleurs, s’appuyer sur deux piliers. En premier lieu, une lutte renforcée à l’échelle européenne contre l’immigration clandestine. Cette lutte ne peut et ne doit se faire efficacement qu’à l’échelle communautaire. Cette lutte passe peut-être par des mesures (certes difficiles à définir et à mettre en œuvre) de rétorsion contre les pays qui délibérément refusent de « jouer le jeu ». Mais, au-delà d’une indispensable banque de données des visas accordés, elle passe surtout par la création d’une véritable police des frontières européennes. N’en déplaise aux participants du Sommet de Séville qui ont « calé » sur ce point en Juin  2002 : on ne pourra en aucun cas faire, plus longtemps, l’économie de cette mesure de bon sens.

 

 Mais la politique européenne d’immigration doit, aussi et surtout, passer par des flux migratoires officiels plus intenses. Le plus important dans ce domaine consiste à trouver un juste équilibre dans ces flux. Car le «pillage du Tiers Monde » ne peut impunément se déplacer des matières premières vers les êtres humains. Le retour au commerce triangulaire est un leurre. Ce souci d’équilibre ne relève en aucun cas de l’angélisme mais du plus plat des pragmatismes. Intensifier le « brain drain » du Sud vers le Nord privera, à terme, le Nord des débouchés sans lesquels aucune croissance européenne ne pourra être durable. Il faut donc chercher, avec les pays du Sud de la Méditerranée, des accords permettant de faire profiter l’Europe de la main d’œuvre dont elle a besoin tout en aidant les pays du Sud de la Méditerranée à mieux maîtriser leur problème de capital humain. Cela passe, bien sur, avant tout, par l’encouragement des I.D.E. (investissements directs étrangers) européens dans cette zone, I.D.E. auxquels on trouve ici une justification de plus. Mais cela doit passer aussi par des dispositifs spécifiques.

 

Ces dispositifs doivent viser deux objectifs. D’abord aider les pays du Sud de la Méditerranée à mieux maîtriser leurs flux de diplômés. Et, pour ce faire, deux mesures prioritaires pourraient être arrêtées très rapidement. En premier lieu, favoriser le rééquilibrage des formations supérieures en faveur des formations scientifiques (le poids des formations littéraires restant, à ce jour, beaucoup trop important pour les besoins à venir). En deuxième lieu, plutôt que d’envisager la création d’une ou plusieurs « universités euro-méditerranéennes » (projet maintes fois évoqué mais trop lourd compte tenu de l’urgence), il faudrait considérablement renforcer la présence de chercheurs et d’universitaires européens dans le cadre des formations existantes et à créer au Sud de la Méditerranée.

 

Deuxième objectif à atteindre : faciliter les flux de capital humain entre le Sud et le Nord de la Méditerranée.  La redéfinition des conditions d’attribution des bourses d’étude et la refonte complète des dispositifs d’ « aide au retour » constituent deux vecteurs, parmi d’autres, d’une telle ambition.

 

Ces différentes mesures ne constituent en rien des solutions miracles à l’ensemble des problèmes posés par les flux migratoires entre le Nord et le Sud de la Méditerranée. Elles présentent toutefois l’avantage de faciliter de manière significative l’indispensable relocalisation des activités économiques entre ces deux zones. Et surtout elles présentent l’avantage de pouvoir être mises en œuvre rapidement. Ce qui, compte tenu de l’urgence des défis à relever dans ce domaine, constitue un « plus » incontestable. 

 

 

III – LE DÉFI FINANCIER

 

Commençons par le commencement. C’est à dire commençons par rappeler ce qui manque le plus aux pays du Sud de la Méditerranée : des IDE privés permettant l’élargissement et l’enracinement du tissu des PME locales. Des IDE il n’en est pas ou presque : 5 milliards de $ par an environ pour l’ensemble de la zone, soit environ 1 % du PIB de la zone. Cela représente à peine 4% des IDE mondiaux effectués dans les seuls pays émergents.

 

Par ailleurs, dans cette zone, les investissements sont, de manière écrasante, des investissements publics. Le ratio de l’investissement public au PIB est un des plus élevés au monde : il a culminé à plus de 16 % au début des années 80 avant de revenir à 10 % au milieu des années 90, ce qui reste près de deux fois supérieur à la moyenne des pays en développement. Autre ratio, complémentaire et tout aussi inquiétant : le secteur privé représente dans un certain nombre de pays du Sud de la Méditerranée moins de 20 % des crédits bancaires ! Un dernier ratio pour compléter le tableau : les engagements de la B.E.I. en faveur du secteur privé représentent seulement 30 % des engagements de la Banque en Méditerranée. S’ajoute à cela que les investissements et les prêts, publics ou privés, internationaux ou non, privilégient, dans le secteur privé, les grandes entreprises par rapport aux PME. Résultat des courses : ce qui fait, sans aucune contestation possible, l’essentiel de la croissance présente et à venir de cette région du monde est le plus délaissé par les circuits de financements actuels.

 

Il faut donc réagir. Il faut donc impulser un nouveau processus de financement des entreprises privées du Sud de la Méditerranée. Il faut donc multiplier les « tuyaux » financiers susceptibles de canaliser l’épargne, surabondante en Europe, vers des emplois productifs, rentables et sécures au Sud de la Méditerranée. Dans ce domaine, il suffirait, pour commencer, par mettre en œuvre les réformes dont les contours ont déjà été tracés depuis de nombreuses années. En premier lieu, il faut développer les marchés financiers du Sud de la Méditerranée. Le financement des économies méditerranéennes ne se fera jamais prioritairement par les Bourses ; le financement de marché est et restera plus développé au Nord-Ouest, dans les pays anglo-saxons, qu’au Nord Est et au Sud. Rappelons néanmoins qu’historiquement la deuxième plus ancienne bourse du Monde (après Bruxelles) fut celle d’Alexandrie ; preuve s’il en était besoin que financement boursier et croissance méditerranéenne ne sont pas incompatibles. Il faut donc tout faire pour redonner aux marchés boursiers du Sud de la Méditerranée la tonicité qu’ils ont eue au début des années 90. Pour cela, il faut encourager, y compris fiscalement, les investisseurs institutionnels, de là-bas ou d’ailleurs, à faire le pari de ces pays émergents. Pour cela, il faut peut-être aussi envisager la double cotation des entreprises de cette région, sur place et sur une bourse européenne. Des marchés financiers liquides et bien irrigués c’est, rappelons-le, le plus sûr garant du financement au meilleur coût des entreprises les plus performantes.

 

Mais cela ne suffira pas, pour les PME notamment. Il faut donc, en priorité, créer et développer dans cette zone une véritable industrie du capital risque. Ce qui, en effet, fait le plus défaut aux PME méditerranéennes, ce sont, là-bas plus qu’ailleurs, les fonds propres. Des fonds propres plus importants, c’est le plus sûr garant d’un accès à un financement bancaire plus facile et moins coûteux, mais c’est aussi et surtout le viatique le plus efficace pour nouer des partenariats à l’étranger. L’insigne faiblesse des fonds propres des PME méditerranéennes est à l’image de l’insigne sous-développement du capital risque dans cette région. La BEI s’enorgueillit d’avoir consacré 150 millions de $ au renforcement des fonds propres des PME méditerranéennes. C’est évidemment mieux que rien. Mais c’est une goutte d’eau par rapport à l’immensité des besoins existants et à venir. Dans ce domaine, une piste de réflexion mérite d’être creusée et une proposition mérite d’être formulée. La piste de réflexion consiste à faire de l’Europe la plaque tournante des capitaux en provenance du Golfe et en direction des opérations de « private equity » en Méditerranée. Rappelons que les avoirs des pays du Golfe investis en Europe représentent environ 300 milliards de $. Rappelons que l’Europe dispose d’une industrie du capital-risque qui rivalise aujourd’hui avec son concurrent américain. Pourquoi ne pas envisager que l’Europe, en sécurisant, par son professionnalisme, ces opérations d’investissement, participe au recyclage Sud-Sud des capitaux du Moyen-Orient à la recherche de rendements supérieurs à la moyenne ?

 

La proposition, elle, ne souffre d’aucun questionnement. Il faut massivement augmenter la part des capitaux consacrée par l’Europe au capital risque en Méditerranée. Un triplement des sommes allouées à ce type d’intervention paraît un objectif parfaitement réaliste dans les trois ans qui viennent. L’argument selon lequel ce sont les opportunités d’investissement qui font défaut est irrecevable dès lors que l’on envisage une présence plus marquée des organismes financiers publics européens sur le terrain (cf. infra).

 

Troisième réforme à mettre en place, celle de la garantie des investissements. Il n’y aura pas plus d’IDE si les investisseurs ne se sentent pas en confiance. Cette confiance passe bien sûr par de multiples réformes en matière de gouvernance dans les pays du Sud de la Méditerranée. Mais cette confiance passe aussi par la mise en place et le développement de mécanismes assurrantiels : la Coface en France, le Loan Garantee Scheme en Angleterre et le JSBCI au Japon ont démontré que les mécanismes de garantie partielle des capitaux contribuaient à l’essor des investissements, notamment dans les segments de marchés perçus comme les plus risqués. Ce qui est vrai en Europe, l’est aussi au Sud de la Méditerranée. Le lancement d’un programme de garantie des investissements en Méditerranée paraît, de ce point de vue, un point de passage obligé de la relance des IDE dans cette zone, en particulier pour les pays perçus comme les plus risqués (Libye et Algérie notamment) et pour les investissements considérés comme les plus aléatoires (« strat up » notamment).

 

Par rapport à ces trois pistes de réformes qui ne présentent aucune nouveauté particulière (et à d’autres comme la création d’une banque des PME dans chacun des pays du Sud de la Méditerranée ou le développement des nouveaux métiers financiers comme le crédit à la consommation ou le leasing), il en est deux sur lesquelles il faut insister car elles présentent une novation au moins relative.

 

La première piste est celle de l’épargne des Résidents Maghrébins à l’Etranger (RME). L’épargne des RME représente, selon les estimations (par nature, difficiles à établir avec précision), entre 50 et 100 milliards de $. Dériver 10 % de cette masse de capitaux vers des investissements productifs au Sud de la Méditerranée reviendrait à doubler ou tripler le volume annuel des IDE dans cette zone. Cette dérivation est parfaitement réalisable. En effet, si les investissements des RME de la première et de la seconde génération étaient principalement orientés vers l’achat d’une résidence dans le pays d’origine, ceux de la troisième génération sont beaucoup plus ouverts à des investissements productifs. Ce qui fait défaut en l’occurrence c’est, une fois de plus, « des tuyaux financiers » permettant de mettre en adéquation cette offre de capitaux avec des projets productifs « bancables ». La BEI au niveau européen et l’AFD au niveau français sont parfaitement adaptés pour mettre en place de tels « pipelines ». Pour peu que leurs modes d’intervention soient quelque peu reformatés et, surtout, que la volonté politique existe.

 

Deuxième piste de réforme, de loin la plus urgente et la plus importante : la création d’une Banque pour le Développement de la Méditerranée. Il ne s’agit pas là d’une idée nouvelle. Cela fait plus de dix ans que, de loin en loin, l’idée resurgit, sous des formes diverses et variées. Trois raisons au moins nous semblent justifier le fait que cette idée soit reprise aujourd’hui et, enfin, concrétisée. Tout d’abord, il est désormais démontré que laBERD, malgré des débuts contestables, a contribué de manière déterminante au financement du secteur privé dans les PECO. Par ailleurs, il convient de noter que la Banque Mondiale et la SFI ne jouent plus, dans la zone MENA, le rôle que ces deux institutions jouaient dans les années 70 et 80, en partie au moins en raison de l’effet d’éviction provoqué par le faible coût de financement de la BEI. S’ajoute à ceci (ceci expliquant pour partie cela) une impasse de financement du secteur privé qui n’a jamais connu un telle ampleur. Face à ce diagnostic, de multiples solutions sont envisageables. Ma conviction est que toute solution, qui ne passe pas par la création d’une institution dédiée au financement du secteur privé dans les pays du Sud de la Méditerranée, est vouée sinon, à l’échec, au moins à l’impuissance relative. C’est le cas notamment de la consolidation de la FEMIP, formule privilégiée par les Pouvoirs Publics aujourd’hui, qui a le mérite de la simplicité et de l’innocuité diplomatique (de nombreux pays du Nord de l’Europe n’étant pas favorable a priori à un accroissement de l’engagement de l’UE en faveur des pays du Sud de la Méditerranée) mais qui présente l’inconvénient de dissoudre l’engagement communautaire dans une mécanique administrative trop complexe et trop biaisée en faveur des dossiers de financement des infrastructures. C’est la Commission elle-même, au terme d’une « analyse d’impact approfondie » qui aboutit à ces conclusions : « Par comparaison (avec la FEMIP), l’option de la filiale peut s’avérer plus efficace pour ce qui est d’atteindre l’objectif de développement du secteur privé, en ce qu’elle permettrait d’adopter une orientation moins réticente face au risque que celle de la BEI, de créer une « capacité institutionnelle » proactive en consacrant un volume élevé de ressources en personnel aux opérations bancaires relatives au secteur privé, de se rapprocher des opérateurs locaux, de pratiquer des tarifs orientés sur ceux du marché, couvrant à la fois une plus grande prise de risque et des coûts de fonctionnement plus élevés, ainsi que de proposer l ‘éventail complet des produits financiers les plus modernes destinés au financement du secteur privé, encore peu disponibles au niveau local » (Communication de la Commission au Conseil : « Organiser le soutien au développement du secteur privé en Méditerranée », Septembre 2003, p. 18). Tout est dit dans cette citation et dans ses attendus : sur 25 critères retenus par la Commission, dans dix cas, la solution « filiale » se révèle plus efficace que la solution FEMIP alors que dans un cas seulement la solution FEMIP l’emporte. La Méditerranée a impérieusement et urgemment besoin d’une Banque dédiée. Cette formule est le plus sûr garant de l’efficacité, car seule une institution peut accompagner des projets dans ce qu’ils ont de plus instantané et de plus « terre à terre ». C’est aussi le plus sûr garant de la permanence et de la continuité, car seule une institution, dotée d’organes propres, peut assurer un véritable financement à long terme.

 

Deux seules conditions à la création de cette indispensable institution. D’abord une diminution drastique de la taille moyenne unitaire des engagements : si la BEI fonctionne sur la base du financement de projets d’un montant moyen unitaire supérieur à 100 Millions d’euros (155 millions pour 2002, contre 35 pour la BERD et 15 pour la SFI), l’avenir du financement des P.M.E. au Sud de la Méditerranée passe par des financements «  vernaculaires » dont le montant unitaire moyen ne peut qu’exceptionnellement dépasser le million d’euros. Que d’habitudes et de pratiques à réformer pour arriver à ce résultat… Deuxième condition, liée à la première, une Banque pour le Développement de la Méditerranée ne pourra fonctionner de manière efficace que si elle se dote de filiales locales. Une fois encore, sans enracinement de proximité, il n’est pas envisageable de mettre en place un financement pertinent des PME. Que ce financement passe par des sociétés de capital risque locales ou soit effectué en direct n’y change rien : le financement des PME privées dans les pays du Sud de la Méditerranée ne pourra se faire de manière efficiente que sur la base d’un financement de proximité.

 

 

IV – LES CONTOURS D’UNE « ASSOCIATION RENFORCÉE »

 

Le processus de Barcelone a au moins un mérite : celui d’exister. Mieux : il a permis de faire prendre conscience de l’ « impérieuse nécessité » d’associer les pays du Sud de la Méditerranée à la construction européenne. Ceci posé, le processus de Barcelone ne semble plus adapté, dans sa configuration actuelle, aux défis que l’Europe a à relever aujourd’hui. Le processus de Barcelone « souffre » d’une triple « maladie » :

 

1.      en tant que tel, il n’engage juridiquement personne ; ce qui fait sa souplesse fait aussi sa fragilité ;

2.      il exclut de son champ deux dossiers économiques majeurs : l’agriculture et les flux de population ; faire l’impasse sur de tels dossiers revient à recréer un « échange inégal » ;

3.      au niveau de sa mise en œuvre, il a connu des retards et des renoncements ; moins que peu, cela ne fait pas beaucoup…

 

La situation géostratégique mondiale a changé depuis 1995. Les attentats du 11 septembre comme la guerre en Irak ont créé  une fantastique « demande d’Europe » que l’UE doit s’efforcer de satisfaire. Par ailleurs, le succès (certes coûteux) de l’élargissement vers l’Est crée un déséquilibre Est-Sud qui ne pourra, à l’avenir, si rien n’est fait, que s’accentuer. L’UE doit tenir compte de ces nouveaux équilibres et promouvoir, avec les pays du Sud de la Méditerranée, une « association renforcée ». « Ni simple association de libre échange, ni adhésion pleine et entière » comme l’a défini l’ancien Président de la Commission, Romano Prodi, l’ « association renforcée » ne pourra trouver sa justification que si on en précise les contours. Les concepts de « voisinage » et de « pays amis » sont utiles mais ils restent, à ce stade, trop flous. Il convient de leur donner une véritable consistance.

Un certain nombre d’initiatives concrètes, qui vont dans le bon sens, méritent d’être encouragées : ainsi en est-il, au Sud, de la Déclaration d’Agadir visant à intensifier les échanges commerciaux entre le Maroc, la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie ; ainsi en est-il de même de la création de l’Assemblée Parlementaire euro-méditerranéenne, lieu de concertation consultatif permettant aux parlementaires des deux rives de la Méditerranée d’échanger leur expériences. Ces efforts vont dans le bon sens mais, à nos yeux, ne suffisent pas. Il faut donner une dimension, et donc une signification, nouvelle au partenariat euro-méditerranéen. Ceci passe par le respect de six conditions au moins :

 

1.      Il convient de rééquilibrer le poids respectif de l’économique et du politique. Dans l’esprit de Barcelone, c’est la paix et la sécurité qui devaient créer les conditions de la croissance et du développement. Notre conviction est que, aujourd’hui, il faut inverser le raisonnement et privilégier la croissance si l’on veut obtenir la paix et la sécurité. Cette croissance des pays du Sud de la Méditerranée, qui doit bénéficier à l’UE et que doit donc encourager l’UE, peut et doit être obtenue par différents moyens complémentaires. Notre conviction est que :

-         parmi ces moyens, une priorité doit être donnée aux Investissements Directs Etrangers (IDE) ;

-         parmi ces IDE, une priorité doit être donnée aux IDE réalisés par des entreprises privées et

-         ces IDE doivent bénéficier en priorité aux PME. Ce sont, en effet, les PME privées du Sud de la Méditerranée, existantes ou à créer, qui, à mes yeux, feront jouer l’effet de levier le plus important en matière de croissance, de création d’emploi et de démocratisation. C’est donc cette « création de valeur » qu’il faut en priorité encourager.

Afin de crédibiliser le poids de l’économique dans le partenariat euro-méditerranéen, une réunion annuelle des Ministres de l’Economie et des Finances et des Gouverneurs des Banques Centrales des pays des deux rives de la Méditerranée se devrait d’être instaurée afin de prendre la mesure des progrès accomplis dans ce domaine et, année après année, d’ouvrir de nouvelles perspectives.

 

2.      Il convient de rapidement et significativement augmenter les ressources affectées au partenariat. Les chiffres sont désormais bien connus : l’Europe a mobilisé 730 milliards de $ pour la réunification allemande ; elle a consacré directement ou indirectement 60 Milliards de $ pour les PECO ; en comparaison, les pays de la zone MENA (dont la population est presque le double de celle de la zone PECO) n’ont bénéficié de concours européens qu’à hauteur de 15 milliards de $. La disproportion des enjeux et des capitaux mobilisés est, quelque soit l’angle de vue choisi, criante.

Il est vrai que le statut passé et à venir des pays de la zone PECO et de la zone MENA n’est pas le même. Il est vrai aussi que l’ensemble des fonds destinés à la zone MENA n’a pas pu, tant s’en faut, être débloqué (pour des raisons qu’il faut analyser plus en détail mais qui relèvent, pour partie au moins, des mécanismes de décision européens). Il n’empêche : la masse de capitaux consacrée par l’Europe au partenariat euro-méditerranéen nous semble totalement disproportionnée par rapport aux besoins et aux enjeux qui sont en cause. En toute première approximation (qui devra être affinée, ce qui constitue, en soi, un exercice pédagogique salutaire), on peut considérer qu’un doublement des sommes budgétées pour la période 2006-2009 constitue un objectif à la fois ambitieux et réaliste. Mais pour que cette enveloppe supplémentaire joue son rôle de catalyseur de projets, il faut que ces crédits soient débloqués rapidement afin de crédibiliser le surcroît d’énergie économique dont doit être porteuse une « association renforcée ».

 

3.      L’augmentation des moyens financiers consacrés au partenariat euro-méditerranéen n’a de sens que s’il sert de levier à l’intégration économique des pays du Sud de la Méditerranée. Les chiffres sont connus : moins de 5 % des échanges des pays de la zone MENA se font sur une base régionale (contre plus de 50 % pour l’UE). Or il est aujourd’hui démontré que, dans le cadre de la mondialisation, l’intégration régionale constitue un atout pour chacun des pays qui y participent. A quelques exceptions près, les entreprises en phase de mondialisation ne misent plus uniquement sur des considérations de coût de production ; la taille du marché « sous jacent » importe au moins autant. La capacité d’attraction des IDE dépend donc de plus en plus de l’intégration économique régionale. Dans ce domaine, le Sud de la Méditerranée occupe une place à part : non seulement son intégration économique est très faible par rapport aux autres zones, mais elle va plutôt en décroissant.

L’Europe a, dans ce domaine, une responsabilité : ayant contribué à attirer les économies de cette zone vers son marché intérieur, elle se doit de contribuer, pour défendre au mieux ses propres intérêts, à l’intégration économique des pays du Sud de la Méditerranée. Quand on sait que 10 % à peine des actions MEDA ont un caractère régional, on mesure le chemin qui reste à parcourir. Le supplément d’effort financier consenti par l’Europe en faveur du partenariat euro-méditerranéen doit donc se faire sur la base d’une stricte conditionnalité en matière d’intégration économique régionale. Et cette intégration ne doit pas concerner seulement les grands projets d’infrastructure. Elle doit aussi, et je serais tenté de dire surtout, s’appliquer aux projets structurés autour de PME.

Si l’intégration politique des pays du Sud de la Méditerranée doit se poursuivre au rythme qui est le sien, l’intégration économique doit être considérablement accélérée et l’Europe doit contribuer activement à cette évolution.

 

4.      Aucun dossier économique ne doit être exclu du cadre de l’ « association renforcée ». Un partenariat incomplet n’est pas un véritable partenariat. Il est certes des dossiers plus délicats que d’autres. Raison de plus pour les traiter le plus tôt possible, de manière réaliste, mesurée et progressive. Dans ce domaine, les trois dossiers que nous avons « ouverts » doivent être considérés comme prioritaires. Sur des dossiers aussi délicats, c’est moins la masse de capitaux mobilisés qui importe que, d’une part, la volonté politique d’avancer, d’autre part, la concertation regroupant l’ensemble des parties concernées, et enfin la programmation dans le temps des efforts et des concessions consentis par chacun des partenaires.

 

5.      Le renforcement du partenariat euro-méditerranéen passe nécessairement par l’institutionnalisation de ce partenariat. Le Président de la Commission a déclaré à Alger le 30 mars 2003 : « Notre objectif est de partager avec les pays méditerranées « tout sauf les institutions » ». Cette objectif est extrêmement ambitieux et nécessite pour être atteint la création… d’institutions spécifiques. La création d’une institution nouvelle ne peut être un but en soi et n’a de sens qu’à une double condition : qu’elle ne duplique pas des institutions existantes et que sa création constitue un « plus » opérationnel par rapport aux objectifs poursuivis. La priorité devrait aller à la création de trois instances nouvelles au profil et aux missions très différents : outre la Réunion Annuelle des Ministres des Finances et des Gouverneurs, la création d’un Forum Agricole Euro-méditerranéen et d’une Banque Euro-méditerranéenne semblent devoir - et pouvoir - être décidées dans les plus brefs délais, ces deux dernières instances se devant par ailleurs d’être dotées de moyens spécifiques. Ces nouvelles instances ne doivent être créées que si elles contribuent à décentraliser la concertation et l’action en matière de partenariat euro-méditerranéen, l’objectif n’étant pas d’empiler les bureaucraties mais, au contraire, de mieux coller à la réalité du terrain. Le processus diplomatique « 5+5 » qui a, dans le passé, connu bien des vicissitudes mais qui a été relancé à Tunis en Décembre 2004  pourrait, et à mes yeux devrait, servir de cadre au suivi de la mise en œuvre de telles réformes.

 

6.      Le partenariat euro-méditerranéen doit être un projet rassemblant l’ensemble des membres de l’UE. Il ne faut pas se voiler la face. Les pays européens sont économiquement et politiquement concernés à des degrés divers par le partenariat euro-méditerranéen. La Commission Européenne a donc le devoir de convaincre l’ensemble de ses membres de la nécessité et de l’urgence de ce projet. Pour rendre compatible l’impératif économique et les contraintes politiques (et ce dans les plus brefs délais, compte tenu de l’urgence), il est souhaitable d’encourager des configurations de réforme qui ne soient pas trop rigides et globalisantes. De ce point de vue, l’initiative «  5 + 5 », qui met en présence les pays du Sud de la Méditerranée avec les membres de l’Union les plus directement concernés par l’avenir de cette zone, doit être vivement encouragée, voire institutionnalisée. Il n’en reste pas moins vrai qu’un grand projet européen dont l’Allemagne ne serait pas porteuse perdrait de son efficacité. Compte tenu des efforts consentis par l’UE en faveur des pays de la zone économique de proximité de l’Allemagne et compte tenu du poids de ce pays dans les mécanismes communautaires, il semble indispensable d’impliquer celui-ci autant que faire se peut dans le devenir du partenariat euro-méditerranéen. Le concept de « 5 + 6 » n’aurait-il pas, de ce point de vue, une efficacité « renforcée »… ?


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